DIALECTES ARABES : ORIGINE, EVOLUTIONS, DIVERSITE ET RICHESSES

Oct 26, 2020 | Histoire, Langues et société

أصول اللهجات العربية وتطوراتها بمختلف أنواعها وثرائها

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Très schématiquement, disons que l’arabe dialectal est une forme extrêmement simplifiée de l’Arabe classique ou littéral : c’est la langue parlée de tous les jours qui ne s’embarrasse pas de toutes les règles rigides de la langue écrite et savante et qui évolue un peu à sa guise en fonction de l’époque et des besoins de communication. On distingue traditionnellement deux grands « blocs » de dialectes : le bloc oriental (pays du Moyen-Orient) et le bloc maghrébin (Maurétanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye). Auxquels, à notre sens , il faudrait rajouter un troisième bloc pour les dialectes de la péninsule arabique.

A l’intérieur d’un même bloc, il existe des parlers « nationaux », et au sein d’un même pays, des variantes régionales,  mais de très nombreuses passerelles existent et les gens se comprennent parfaitement moyennant quelques accommodements, au-delà de l’usage de la langue commune, donc celle du coran et sa version moderne.

Tous les dialectes ont pour origine la même source : l’arabe dit « classique », langue du Coran qui a essaimé à travers une grande partie du monde, grâce aux conquêtes (futûhât), et à  l’établissement d’un empire allant des confins de l’Asie à la péninsule ibérique (Andalousie), imposant peu à peu, partout, la langue liturgique comme « langue officielle » à tous les échelons de la vie économique et sociale.

 Cette même langue, dite classique,  avant la révélation et surtout avant la réunion du texte sacré en un corpus écrit unique (vulgate de Uthmân ), c’est-à-dire le texte qui nous est parvenu, était déjà scindée en un certain nombre de parlers tribaux, avec probablement des différences plus ou moins importantes en termes de vocabulaire et d’accents…

Conquêtes, expansion et résistances locales

Ces conquêtes, évidemment ne se sont pas faites sans rencontrer de sérieuses résistances, aussi bien sur le plan militaire que par rapport à la nouvelle « offre de religion » et donc de langue, puisque d’emblée, toute pratique religieuse (notamment la prière) ne peut avoir de valeur que par l’utilisation de la langue sacrée.

Elles se sont faites par vagues successives, avec des avancées et des reculs, mais tous les historiens attestent que l’Islam s’est répandu relativement assez vite, étant admis au final par les populations locales selon les régions conquises aussi bien en Asie, qu’en Afrique du Nord et plus tard en Afrique subsaharienne.

Contrairement à un mythe fort répandu dans les manuels d’histoire en circulation dans les pays arabes, cette expansion rapide de la nouvelle religion était moins le faits d’armes exceptionnels de guerriers redoutables surgis du fin fond du désert d’Arabie, que celui des Oulémas (théologiens prosélytes)  qui présentaient l’Islam dans sa version « primaire » de l’époque, c’est-à-dire une « lecture » plus souple, attentive aux contingences du moment et donc aux mœurs et coutumes locales, moins rigide que la doctrine qui allait s’imposer plus tard avec la chute de la dynastie omeyyade et l’arrivée des Abbassides.

Il va de soit que l’islam porté par ses armées et ses théologiens n’arrivait jamais en terrain vierge, dans des contrées sans passé historique ni langues, cultures et cultes. Déjà, la langue arabe a dû s’imposer progressivement et non sans mal par rapport aux grandes langues de l’époque tels le latin, le grec et le persan. Mal « outillée » au départ, avec un socle scriptural rudimentaire, très en retard par rapport aux sciences et technologies de l’époque, longtemps les nouvelles autorités califales ont dû s’accomoder des langues établies et donc aussi du personnel compétent dans le domaine de l’administration mais aussi des tenants du savoir toute discipline confondue.

Empire Omeyyade

Par la suite, et jusqu’à nos jours, l’histoire a prouvé que là où l’islam était relativement vite admis, il n’en était pas de même pour la langue arabe qui rencontrait encore plus de résistances du fait de la présence des langues locales, langue de communication au quotidien et langue maternelle des natifs nouvellement convertis.

Mais les difficultés rencontrées par la langue arabe dans sa version classique- coranique avaient d’autres raisons que celles à proprement parler en termes de besoins de communication ou d’attachement affectif à la langue maternelle. L’une de ces raisons est liée aux comportements socio-politique des nouveaux maîtres qui pratiquaient une véritable ségrégation en ne permettant l’accès aux hauts postes dans l’administration ou l’armée par exemple qu’aux arabophones « natifs » ou ayant acquis la langue de façon irréprochable ; et même parmi ceux-là, les descendants des familles « nobles » (omeyyades ou abbassides) étaient privilégés, pour ne pas dire prioritaires…

Cela était le cas aussi bien pour les territoires conquis à l’est de l’Arabie jusqu’en Asie, mais aussi pour ce qui allait devenir l’ Ifriqiyya ( Maghreb) et Al-Andalous.

Le rôle décisif des Banou Hilal dans l’arabisation du Maghreb

Les Hilaliens vivaient en Arabie dans la partie du Hedjaz qui confine au Nejd. Circulant parfois vers l’Irak en quête de pâturages et de points d’eau, ils devinrent les alliés politiques des  Qarmates*  , sectaires chiites qui désolèrent l’Arabie pendant plus d’un siècle, allant jusqu’à couper la route de la Mekke aux pélerins . Ils les suivirent en Syrie  et avec eux combattirent les Fatimides. Les Fatimides  vainquirent les Qarmates et leurs alliés hilaliens qui furent installés dans les déserts de la rive droite du Nil. Ayant reçu l’ordre des Fatimides d’envahir l’Ifriqiya, les Hilaliens ont d’abord migré vers le sud de l’Egypte  avant de se diriger vers le Maghreb.

Guerriers hilaliens

Le célèbre Abou Zayd Al-hilâlî a dirigé des dizaines de milliers de bédouins  vers l’Afrique du Nord qui se sont assimilés et mariés avec les peuples autochtones. On a estimé à 50 000 le nombre des guerriers, et à 200 000 le nombre des Bédouins qui furent lancés sur l’Ifriqya en 1051-1052.

L’Ifriqiya était livrée à l’anarchie, et les Hammadites (qui gouvernaient une large partie de l’Est de l’Algérie actuelle) avaient tenté un moment de se faire des alliés de ces tribus, sans succès Les Hilaliens étaient réputés pour leur grande combativité , mais aussi pour leur côté dévastateur, un peu à la manière des armées d’Attila. Ibn Khaldoun a noté que les terres ravagées par ces envahisseurs devenaient complètement désertiques. Il va même jusqu’à écrire à leur sujet : « en raison de leur nature sauvage, les Arabes sont des pillards et des destructeurs », affirmant que la sauvagerie est leur caractère, et leur nature.

Trouvant leur présence continue intolérable, les Almohades ont écrasé les Hilaliens lors de la bataille de Sétif en 1153.

Les Banou Hilal sont ensuite passés sous la domination de diverses dynasties berbères subséquentes.

Ces tribus hilaliennes se sont profondément mélangées aux populations berbères autochtones, notamment à travers les mariages et ont donc puissament contribué à l’arabisation du Maghreb au niveau langue.

Les spécialistes parlent souvent d’ailleurs d’arabe dialectal « hilalien ou pré-hilalien ».

Dialectes maghrébins : classification, variantes et distribution géographique

Les parlers hilaliens sont répartis sur une large aire allant des plaines atlantiques du Maroc et de Mauritanie (parlers Hassaniya)) jusqu’en Lybie (Syrénaïque)et les oasis de l’Ouest égyptien , en passant par, les Hauts-Plateaux et le littoral algériens, la Tunisie et la Tripolitaine. Néanmoins, plusieurs enclaves pré-hilaliennes existent dans cet espace, notamment les villes aux parlers citadins (tel Fès,abat, Tlemcen,Constantine  ou Tunis).

  • Groupe ibérique :

Andalousie musulmane

Arabe andalou, éteint, « traces » subsistantes dans certains parlers citadins au Maghreb pratiqués par une petite minorité d’origine andalouse, notamment à Fès, Meknes, Tlemcen, Tunis). On peut trouver aussi  des traces écrites (nombreuses mais éparses dans la littérature andalouse des Xème – XI ème  et XIIème siècles où des tournures, vocables en dialectal surgissent ici ou là à côté de termes berbères…). Mais le corpus le plus complet qui nous soit parvenu reste celui des qassida (pièces de poésie chantée), mélange assez savant d’arabe classique « pur », de tournures dialectales comprenant même des mots d’espagnol d’’époque !

  • Groupe maghrébin :

Comme nous l’annoncions au début de cet article, au sein d’un même pays, un dialecte comprend de nombreuses variantes régionales. Pour chaque pays, nous ne donnerons que les variantes les plus utilisées.

Arabe marocain « non-hilalien » :

Parlers citadins (parlers non-hilaliens, fortement influencé par l’arabe andalou)

  • Arabe citadin « pur » (parlers anciens de Fès, Rabat, Salé, Tétouan…
    • Arabe citadin d’influence bédouine (parlers anciens de Marrakèche et Fès)
    • Arabe citadin d’influence montagnarde (parlers anciens de Tanger, Ouezzan, Chefchaouen
    • Parlers judéo-marocains (non-hilalien)
    • Nouveaux parlers urbains du Maroc (koinès urbaines, dominante hilalienne),
    • Parlers du Sahara

 

Arabe algérien :

Parlers algériens occidentaux : parlers pré-hilaliens de Tlemcen et Nedroma, parlers m d’Oran et de Mostaganem, parlers de la vallée du Chélif… Parlers algériens centraux : parlers d’Alger, parlers de la Mitidja ( Tipaza, Blida… ) Parlers algériens orientaux : parlers hilaliens et sulaymites de (Bordj Bou Arreridj, Sétif, Msila…), parlers pré-hilaliens de Jijel, Collo, Mila, de Bejaia, parler de Constantine, parlers de l’extrême est algérien ( Annaba, Souk Ahras, Tébessa, El Kala) Parlers algériens méridionaux : Arabe saharien Une forte influence de l’arabe andalou,  notamment dans les parler citadins de Bejaïa, Tlemcen, Nedroma,Mostaganem, Dellys etc.

Arabe tunisien ( incluant en partie l’extrême nord-est algérien)

  • Parlers pré-hilaliens Nord oriental, régions de Tunis, Bizerte et le Cap Bon
    • Parlers pré-hilaliens de la région de Sfax
    • Parlers pré-hilaliens sahéliens des régions de Sousse, Monastir, Mahdia.
    • Parlers sulaymites Nord occidental ( Nord-Ouest de la Tunisie)
    • Parlers hilaliens occidental (Ouest de la Tunisie)
    • Parlers sulaymites Sud ( Sud de la Tunisie)

On peut y inclure :

 Le  Maltais, pré-hilalien (Malte) L’ Arabe sicilien, pré-hilalien (éteint),   Groupe bédouin : Arabe Libyen, Arabe Lybien de Tripolitaine, Arabe Lybien de Cyrénaïque, Arabe Lybien du Fezzan, Arabe tunisien du Sud (Sud tunisien Mauritanie, Sud  marocain, Sud-Ouest algérien,Mali, Sénégal), Arabe saharien (Sud-ouest algérien, Niger).
Sources: Wikipedia.

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Recherches en dialectologie… et rivalités inter-arabes !

Les recherches concernant la langue arabe en général, même en Europe sont relativement rares et confinées dans des milieux spécialisés de (type universitaire). Celles en dialectologie le sont encore plus.

En l’absence d’une académie arabe unifiée ou d’une quelconque instance officielle représentative, chaque groupe de recherches fournit ses propres travaux, destinés à des cercles d’initiés, d’où la quasi impossibilité de faire des comparaisons-recoupements et de tirer des conclusions fiables sur l’état réel de tel ou tel dialecte.

Cela laisse , hélas, libre cours aux spéculations infondées sur la « qualité » de tel ou tel dialecte, sa supériorité supposée sur les autres et donc forcément sa forte proximité et fidélité à la  « langue-mère », l’arabe fusha, classique ou littéral littéral, selon les appellations.

Il en ressort cependant que :

  • Aucun dialecte ne peut se targuer d’être plus proche de la fusha que les autres.
  • Chaque dialecte, selon la région et son histoire se rapproche effectivement de la langue-mère par certains aspects, s’en éloigne par d’autres…Cela peut concerner aussi bien la syntaxe, que le vocabulaire ou la prononciation…
  • les dialectes, par définition sont des registres de langue non codifiés, en constante évolution… Ils ne s’embarassent guère des rigidités de la langue officielle et n’hésitent pas à emprunter abondamment aux autres langues (notamment l’Anglais, le Français, l’Espagnol et l’Italien) les termes nouveaux imposés par la modernité.
  •  Langues de communication donc, au quotidien, qui trouvent dans les moyens de communication modernes, l’occasion d’évoluer encore plus rapidement et même de s’affranchir des carcans qui freinent pour diverse raisons la langue officielle, l’arabe fusha.

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Mahfoud Boudaakkar, Mai 2020

Copyright: Dilap 2020

 
 
 
 
 
 
 

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