Coran et pouvoir sacré

Nov 3, 2020 | Histoire, Islam

 

النص القرآني والتشريع وامتلاك السلطة

L’Islam comme communauté

L’Islam est lui-même communauté. Une communauté centrée sur le livre sacré et les traditions mohammedienes. Les prescriptions coraniques sont à la fois spirituelles et temporelles. Le Coran est le référent principal en matière de spiritualité, mais c’est aussi un document juridique et politique, voire un code de vie. Il faut toutefois noter que les principes coraniques ne-légifèrent pas en détail sur les question de pouvoir. La biographie du prophète laisse supposer que le pouvoir temporel ne l’intéressait que comme moyen pour achever sa mission. La Mecque conquise, l’Islam triomphant, il dut retourner à Médine alors que visiblement, le pouvoir allait être transféré à la Mecque. Il mourut d’ailleurs sans désigner d’héritier et tout porte à croire qu’il s’en abstint délibérément. Le résultat est que tous les pouvoirs (notamment celui des Ommeyyades et des Abbassides) se sont imposés par la pression ou la violence. Mais pour qu’une communauté musulmane se reconnaisse comme telle, elle doit organiser les trois pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif) conformément aux principes généraux dictés par le Coran et la tradition du prophète. Dans la « passion de Hallajj », L. Massignon nous définit ces trois formes de pouvoir*:

Extrait des 40 hadîths de Nawawi
« le magistère législatif appartient au Coran seul ; le magistère judiciaire appartient à tout croyant qui, par la lecture assidue du Coran, acquiert, avec la mémoire des définitions et l’intelligence des sanctions qu’il édicte, le droit de les appliquer. » Reste le pouvoir exécutif à la fois civil et canonique ; il appartient (…) à Dieu seul et il ne peut être exercé que par un intermédiaire, un chef unique. La communauté des croyants prête serment d’obéir à Dieu, entre les mains de ce délégué, tuteur que Dieu se subroge pour elle, dépourvu d’initiatives législatives et d’autorité judiciaire.

L’Islam, contrairement à une opinion fort répandue, n’est pas une entité unique : il s’est très tôt diversifié en une pluralité de courants et d’écoles souvent rivales, chacune prétendant détenir la vérité. Il s’est cependant dégagé un courant largement majoritaire – le sunnisme – ou Islam orthodoxe. Face aux deux principaux schismes de l’islam que sont le kharredjisme et le chiisme, l’orthodoxie sunnite prône le retour au Coran et à la Sunna (tradition du prophète et de ses compagnons). Le discours jurisprudentiel puise ses lois des sources légales originelles que sont le Coran et la Sunna. Cette dernière est donc source de lois au même titre que le texte sacré. Les faits et gestes du prophète, ses nombreuses prises de parole (indépendamment de la révélation du Coran) sont rapportés dans des « Hadiths », témoignages faits par les contemporains de Mohammed et groupés dans des recueils qui sont utilisés par tous les jurisconsultes.

L’lslam, dès le début , s’est défini comme religion et état. Le prophète Mohammed a fondé lui – même le premier état Musulman à Médine. Prophète, il a été aussi législateur, chef politique et militaire. Le texte coranique ne se présente pas comme l’œuvre d’un individu, mais comme parole de Dieu « logo universel » qui apporte une vision collective globale totale de l’univers . Le Coran cerne en effet l’ensemble des manifestations de la vie, depuis l’architecture du cosmos jusqu’au moindre fait de la vie quotidienne. Ce qui ne figure pas dans le texte sacré, se retrouve dans son complément « naturel » : la sunna.

C’est là que les choses se compliquent : la sunna donc l’ensemble des hadîths répertoriés ( apocryphes avec un grand nombre non « certifiés par les Oulémas) et les travaux d’exégèse  reste une oeuvre « profane » – le fait des hommes – et donc sujette à contradictions, controverses , et souvent à manipulations. Les Oulémas (théologiens) sont amenés à produire des interprétations du Coran ou des hadiths, voire même de l’histoire « événementielle » sous la pression des tenants du pouvoir et ce quelle que soit l’époque ou la zone géographique.

C’est toujours le cas de nos jours ….

 Le Coran et le Prophète pour justifier le pouvoir

Comme nous l’avons vu plus haut, le Prophète qui n’avait pas d’héritier mâle, n’a laissé aucune consigne pour organiser une quelconque forme de pouvoir après sa mort. Et sans désigner quiconque pour lui succéder. Les premiers dirigeants de la « Oumma » islamique » furent les propres Compagnons du Prophète auxquels les musulmans confiaient le pouvoir en le proposant aux uns et aux autres selon leurs compétences en matière de connaissance du texte sacré, leur proximité familiale ou amicale avec le prophète,les efforts fournis pour asseoir la nouvelle religion et conquérir d’abord toute l’Arabie. Ce fut la période des Sahâba (Compagnons), aujourd’hui vénérée avec une grande nostalgie , notamment par les fondamentalistes.

Les trois premiers califes ainsi nommés (aujourd’hui on dirait de manière démocratique), essayaient (et parvenaient) à rester fidèles à la manière qu’avait le Prophète de diriger la vie de la cité, en vivant sobrement et en avertissant justement ses contemporains contre les méfaits des pouvoirs abusifs, comme cela est le cas dans de nombreux versets coraniques.

Le dernier, Ali, (cousin et gendre du Prophète) eu moins de chance. Contesté pour de nombreuse raisons, c’est le gouverneur de l’ancienne Syrie qui fut désigné à la tête de la Oumma.

Mu’âwiya ainsi désigné après maintes péripéties, s’empressa de créer la première dynastie musulmane en se donnant le nom de Mu’âwiya 1er, puisque désormais, le pouvoir califale allait devenir héréditaire, comme dans les dynasties déchues, byzantines et sassanides.

Signalons au passage que le mot calife  خـليفة  signifie successeur (du Prophète). Après la naissance de la première dynastie (Omeyyade), puis la seconde (Abbasside), pratiquement tous les musulmans, jusqu’à aujourd’hui considèrent que ce terme a été usurpé, seuls les trois premiers califes Compagnons du Prophète étant considérés comme légitimes et dignes successeurs de l’envoyé de Dieu.

S’ils ont été à l’origine des usurpateurs, les Omeyyades ont tout de même gouverné pendant un siècle et ont laissé des traces indélébiles. En particulier, pour se faire pardonner d’avoir écarté la famille du Prophète et de l’avoir partiellement opprimée, ils ont dû se faire une légitimité en se présentant comme les protecteurs de la religion et des hommes de religion. Ils vont donc appliquer la chari’a, censée être la loi de Dieu, et confier aux hommes de religion, les Ouléma, le soin de déterminer le contenu de cette chari’a.

le Coran aborde-t-il les questions de pouvoir? 
 
A notre connaissance, non. Le seul, l’unique qui possède le pouvoir absolu sur tout est Dieu lui-même, omniprésent, omnipotent et omniscient… Quant il aborde les questions de pouvoir, c’est pour fustiger, dénoncer, condamner les pouvoirs passés (Pharaons), pour leur arrogance, leurs injustices envers les plus faibles oui pour avoir gravement dévié de  de la « voie divine » en commettant des pêchés impardonnables (Loth). D’autres versets viennent corroborer ces récits  en décrivant les châtiments que Dieu a infligé à ces dirigeants indignes.
C’est surtout des les sourates dites médinoises que le Coran aborde non pas des sujets politique au sens où nous l’entendons aujourd’hui et encore moins les questions de pouvoir ou les relations de gouverneurs à gouvernés. Il s’agit plutôt de versets qui touche à la vie dans la cité, les règles fondamentales que doivent observer les citoyens les uns envers les autres, et surtout des recommandations dont les Oulémas allaient s’inspirer pour édifier la fameuse chari’a, ou loi musulmane.
La preuve en est que le Coran ne contient pas un mot sur le califat ni sur l’État dans le sens où on les entend de nos jours. Le Coran est complètement silencieux sur la question cruciale du choix des gouvernants, des modalités de contrôle de leurs actions, de leur destitution éventuelle. Ce sont des questions d’une importance vitale. La preuve en est que vingt-quatre ans après la mort du Prophète, la communauté islamique s’est déchirée, comme nous l’avons vu, à propos de ces questions. Le silence du Coran à ce sujet a été une des causes essentielles de cette guerre civile dont le point de départ est l’absence de règles claires relatives au choix des gouvernants et à leur contrôle.
 
L’Islam comme alibi pour gouverner

Dans quasiment la totalité des pays arabo-musulmans, l’Islam est déclaré « religion d’Etat ». Cela signifie que le concept de laïcité tel que nous l’entendons en France, n’ y a pas sa place.

Le 23 mars 1924, Kemal Atatürk abolit le califat et proclame la laïcité de l’État turc. Le caractère religieux de l’État était un obstacle à la modernisation de la pensée, à l’admission de la liberté de l’homme et de la femme, au développement de la société. L’affirmation de la laïcité s’est imposée après plusieurs tentatives de réformes qui avaient tourné court. La promulgation des Tanzimat au milieu du xixe siècle n’a pas permis de réaliser les résultats escomptés car les califes mettaient de la mauvaise volonté dans l’application. La société turque était la plus évoluée du monde musulman. Il était donc normal qu’elle ait été la première à proclamer la laïcité.

La réaction à cet événement majeur a été contrastée. Les milieux traditionnels, animés principalement par les institutions d’enseignement religieux les plus anciennes, El Azhar en Egypte et la Zitouna en Tunisie, ont été scandalisés. C’était, dans une certaine mesure, compréhensible car le changement était trop grand pour être accepté par ceux qui étaient connus pour leur conservatisme. Après tout, historiquement, pendant treize siècles, l’islam était inséparable de l’État. La suppression du califat est reçue comme une bombe et qualifiée de trahison. La réaction commence à s’organiser. Quatre ans après, est née l’organisation des Frères Musulmans. C’est la pépinière dont presque tous les mouvements islamistes actuels sont issus.

Après les indépendances, aucun gouvernements n’auraient tenu s’il avait proposé la séparation de la sphère religieuse et de l’Etat. Non seulement, l’Islam est inscxrit dans les constitutions comme religion d’Etat, mais celui-ci, nomme un ministère chargé des affaires religieuses, finance la construction des mosquées, vérifie les programmes scolaires puisque les cours de religions sont obligatoires, forme les imams et va même jusqu’à leur faire parvenir le prêche du vendredi (ou au moins des directives précises), afin que les croyants entendent le même discours sur tout le territoire nationale.

Aujourd’hui, et après ce que l’on a appelé les « printemps arabes » et surtout avec le mouvement récent en Algérie appelé Hirâk, on commence timidement à évoquer la question de la séparation de la mosquée et de l’état, à réclamer la séparation de la vie religieuse qui devrait être affaire privée de la vie politique… Quitte à inventer une sorte de laïcité, moyennant quelques compromis, tant la croyance en l’Islam est encore fortement enracinée chez les masses populaires.

 

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