Femmes célibataires en Algérie

Oct 12, 2020 | Société

Femmes célibataires en Algérie:

Le parcours des battantes

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Il faut avant tout comprendre ce que recouvre le mot célibataire en Algérie d’un point de vue statistique et juridique : il s’agit de tout individu majeur n’ayant pas contracté un mariage auprès de l’état civil algérien !

Mariage traditionnel – Kabylie

Au temps de la colonisation, il était hors de question de « contracter mariage devant Monsieur le Maire », sous le signe de la République Française et l’emblème tricolore. Cela n’avait d’ailleurs aucun sens, sinon même celui -double- de trahir à la fois son pays et sa religion. En effet, le mariage « légal » ne pouvait être validé que par une autorité religieuse (généralement l’imâm de la ville ou du village sollicité par les familles des futurs époux).

Le mariage religieux a longtemps survécu;  jusqu’à nos jours et prime encore (notamment en milieux rural) sur le mariage « civil » déclaré en mairie et ratifié par le tribunal local. Après l’indépendance, il est devenu obligatoire et nécessaire pour toute démarche de type administrative concernant le couple. Et la reconnaissance officielle des enfants à naître.

   Mariage traditionnel algérois

Cela signifie en d’autres termes que la vie en couple libre n’existe pour ainsi dire en tant que donnée statistique ! Donc les chiffres sont eux aussi empreints ( devrions-nous dire entachés?) par cette vision conservatrice et traditionnelle du mariage. Et les statistiques ne risquent pas de s’améliorer de sitôt, car le modèle ancestral pourvoyeur de noces est en panne sèche… Les jeunes et moins jeunes de ces dames rechignent ouvertement à se voir proposer un conjoint non choisi encore moins imposé, par la famille. Le célibat féminin est d’autant plus long chez les femmes citadines. Pour une habitante du sud algérien rural, l’âge du premier mariage se situe en moyenne à 24 ans, il grimpe à plus de 30 ans dans les grandes villes !

L’école: un puissant moyen d’émancipation

Le niveau d’exigence des femmes est de plus en plus élevé, du fait de la politique de scolarisation massive entreprise dès l’indépendance, pour les filles et les garçons.. Il faut savoir que les universités en Algérie sont peuplées à plus de 60 pour cent de femmes ! Un rapport de la banque mondiale montre que pour l’année 2018, le ratio Femmes/Hommes ayant accédé à l’enseignement supérieur est de 1,659 ! Cela signifie que lorsque l’enseignement supérieur enregistre 1000 hommes, dans le même temps il enregistre 1659 femmes ! Ces données expliquent en partie l’emballement du célibat des femmes algériennes, car sur les deux décennies 1987 à 2008, le taux a bondi de 5,1points, passant de 31,5% a 41,6%. Pour la tranche d’âge la tranche d’âge des trentenaires, la proportion du célibat chez les femmes a augmenté de 12 points, passant de 22,4 à 34,7%.

Mais cet « emballement », encouragé et favorisé par la nouvelle donne de développement économique et la possibilité de s’affranchir des contraintes familiales et financières, n’est pas toujours -loin s’en faut- un choix délibéré, compris et admis par la société. Au moins trois contraintes majeurs expliquent ce phénomène:

  • les études supérieures sont de plus en plus longues comme dans la plupart des pays; un mariage en plein parcours universitaire ne peut que compromettre le parachèvement  des études entreprises pour l’obtention du diplôme recherché.
  • le poids des mentalités traditionnelles toujours tenaces (même en milieux urbains et aisés): une fille qui dépasse une certaine moyenne d’âge (environ 25 ans) est déjà considérée comme « trop âgée »! Ajoutons à cette pesanteur archaïque le fait qu’une femme cultivée et diplômée fait toujours peur: cette réaction masculine n’étant pas le propre des cultures arabo-musulmanes uniquement.
  • le coût des mariages « modernes » de plus en plus élevé: un certain développement du niveau de vie entraîne forcément vers le consumérisme à l’occidental, avec des exigences de confort matériel souvent excessives et hors de portée du jeune prétendant, même aidé par sa famille!
  • Enfin,le problème, l’obstacle majeur qui pousse au célibat prolongé reste la question du logement, qui sera traitée plus loin.

Les célibataire algériennes souvent plus instruites que leurs homologues masculins

L’émancipation des femmes algériennes s’affirme à travers leur niveau d’étude souvent plus élevé que celui des hommes à âges et classes sociales équivalents. En Algérie , elles sont 24% de femmes députés, à l’assemblée nationale ( APN). Mais elles ne font pas partie des centre de décision importants et le chômage des femmes diplômées dépasse les 55%;  il est moitié moins pour les hommes à qualification souvent inférieure !

Les femmes célibataires  algériennes, s’expriment plus facilement  que les hommes sur leur malaise social

Les jeunes femmes qui acceptent de se livrer lors d’enquêtes souvent difficiles à obtenir, invoquent le peu d’opportunités de rencontres, alors que leurs exigences envers le conjoint sont devenues plus grandes. Les échecs conjugaux nombreux dans leur entourage de la part d’amies ou de proches les incitent à la prudence. Il faut dire que la montée inexorable de l’intégrisme et les 10 années noires de guerre civile ont éloigné les deux sexes. Une incompréhension et une incommunicabilité qui se ressentent de manière marquée chez cette génération. Les femmes célibataires -quelle que soit la raison de leur célibat rêvent toutes en fait de rencontrer l’homme idéal, selon les critères de chacune …

Curieusement, le physique de l’homme semble un critère très secondaire chez ces femmes, les critères d’éligibilité se situent bien ailleurs.
L’homme idéal, dans cet imaginaire féminin revêt des qualités tant morales qu’intellectuelles. Les femmes expriment le besoin d’échanges libres, de débats, de choix discutés, qui échappent de fait au modèle traditionnel de subordination/soumission féminine. Ce modèle s’il est partagé par la gente masculine éduquée, se heurte au jugement du groupe et son regard qui ont tendance à ramener le couple au modèle ancestral toujours vivace.

Cette expression, ces sujets autrefois absolument tabous circulent désormais avec beaucoup plus de liberté, non seulement entre amies unies par les mêmes préoccupations, mais aussi de plus en plus en familles avec les parents, frères inclus. Mais c’est surtout le développement de l’internet et des réseaux sociaux qui permettent désormais de véritables débats, non seulement entre algériennes, mais bien au delà des frontières du pays.

Il ne serait pas anodin de signaler quelques particularités concernant les échanges sur les réseaux sociaux de la part des femmes célibataires.

  • une grande majorité de ces femmes se cachent derrière des pseudonymes originaux, voire curieux faits de deux noms courts généralement deux syllabes séparées, en caractères latins et ornées… de signes diacritiques!!! Sans doute une façon moderne et « chic » de se voiler virtuellement la face.
  • Pratiquement, jamais de photos personnelles ou alors des photos ayant toutes un dénominateur commun: complètement « asexuées » certaines présentant même des enfants (sans doute un désir de maternité …).
  • le recours très fréquent à l’arabe dialectal souvent transcrits en phonétique « sauvage » avec des caractères latins, ce qui permet sans doute plus de convivialité que l’emploi de l’Arabe littéral ou du Français. Cette dernière langue étant visiblement de moins en moins maîtrisée.

Les femmes dans la population active algérienne

Les femmes en Algérie représentent 18 pour cent de la population active. Un pourcentage faible par rapport au voisin tunisien où les femmes actives sont 35% de la population et également en retrait par rapport au Maroc, où la population féminine représente 28% des actifs.

En Algérie l’écrasante majorité des femmes actives le sont dans le secteur public, notamment à l’Education Nationale et dans le secteur hospitalier public . L’état emploie ainsi  4 millions de salariés , soit 37% de la population active algérienne. Si les femmes représentent 18% de la population active, elles sont à 75% salariées du secteur public !

D’autres secteurs (toujours dans le public) ont commencé il y a plus de deux décennies à accueillir des femmes dans des emplois habituellement réservés aux hommes: l’armée, la police, la recherche scientifique… Le secteur privé n’est pas en reste et de plus en plus de femmes -célibataires ou non- créent et dirigent leurs propres entreprises… Peu nombreuses encore, elle rencontrent encore plus de difficultés que leurs homologues masculins, mais le processus est lancé et au final, ces femmes-entrepreneuses finissent par être jugées surtout par rapport à leur réussite ou leur échec.

La crise du logement , un frein à l’émancipation de la femme célibataire algérienne

L’accession au logement  (crise endémique, jamais résolue par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis l’indépendance) est un autre casse-tête  – et de taille- pour les femmes célibataires algériennes.

La pénurie de logement est un cancer qui ronge l’Algérie depuis … l’indépendance !  Les pouvoirs publics n’ont jamais réussi a enrayer cette crise aiguë. L’attribution de logements est l’un des facteurs de clientélisme et de corruption les plus importants du pays surtout dans les grandes villes. Et bien-sûr les population les plus vulnérables trinquent, dont les femmes seules, divorcées ou célibataires.

C’est ce qui explique, entre autre, les réticences de nombreuses femmes à contracter mariage, même quand la « bonne occasion » se présente: si le prétendant n’a pas de logement personnel, la femme, selon la tradition doit rejoindre le domicile de son époux et donc obligée de cohabiter avec sa famille ce qui ne va pas sans difficultés, le plus souvent à cause du rôle prépondérant des belles-mères.

Discrimination devant le logement pour les femmes célibataires en Algérie

Les annonces d’agences immobilières sont souvent sans ambiguïté : elles ne veulent pas de femmes célibataires ! Les jeunes femmes sont obligées de recourir à des prête-nom familiaux ou amicaux pour pouvoir se loger.Les logements sociaux sont attribués en priorité aux familles, ne restent pour les femmes célibataires que des logements privés plus chers. Ensuite une fois le logement acquis, c’est le voisinage qui se charge de vous pourrir la vie. Une femme célibataire, c’est le désordre social ? La tentation ? Pauvre humanité ….

 

                « Ma place est là où je veux. Pas dans la cuisine. Laissez-nous tranquilles! »

 

 

 

 

 

 

M. Boudaakkar

Octobre 2020

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Bibliographie indicative :

https://algeriepart.com/2017/10/08/enquete-tete-de-femmes-algeriennes-restent-longtemps-celibataires/

https://www.elwatan.com/edition/actualite/en-algerie-les-femmes-representent-18-de-la-population-active-17-09-2018

https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SE.ENR.TERT.FM.ZS?locations=DZ

https://information.tv5monde.com/terriennes/femme-jeune-celibataire-la-galere-du-logement-en-algerie-159533

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