Alger que j’aime
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par Rachid Sidi Boumedine.
Sociologue, urbaniste
A la manière des vieux amants qui ne savent plus comment décrire leurs amours, par les cicatrices des déchirements et celles des trahisons, ou par les rares moments de bonheur, une après-midi en barque ou la soirée passée à chuchoter sous les couvertures, évoquer l’Alger de mon enfance ne vas pas sans douleurs, que l’âge adulte a renouvelées à sa bien cruelle manière.
A s’extraire des nostalgies paradoxales, on est bien obligé de noter ce fait extraordinaire qu’actuellement c’est le centre d’Alger, longtemps terra incognita pour la plupart d’entre nous, qui symbolise le mieux Alger, avec la Casbah, la belle qui se meurt doucement. Ne soyons pas chiches ! Pour quelqu’un qui, comme moi, a déboulé chaque matin en bus pendant les années de lycée sur le panorama de la baie, le premier émerveillement de la ville est celui de son site, de ses couleurs et, reconnaissons-le, de son tissu et de son architecture, toujours aussi éblouissants, si ce n’est plus, en raison des soins qui leur sont prodigués à présent. C’est peut-être là un des paradoxes les plus évident pour celui qui est averti, le film de Mohamed Zinet Tahia ya didou (Vive toi, mon ami) : que les scènes tournent souvent autour du centre de la ville, sans jamais y pénétrer, comme s’il s’agissait d’un territoire interdit !
Mais leurs rues, du moins les plus commerçantes, ont été adoptées par les couches populaires qui y apportent leurs couleurs et leurs modes de vie : s’il est vrai que les magasins les plus chics et les restaurants de luxe sont encore présents, c’est la cuisine populaire qui domine, même lorsqu’elle se déguise sous les oripeaux des fast food et des pizzerias . Mais pour paraphraser une formule célèbre, je crois que ce que j’y préfère, ce sont les bruits et les odeurs. Que vous descendiez du haut de la Casbah ou des hauteurs de Belcourt, vous avez droit aux mêmes séquences : les parfums aromatisés des marchés de Djamaa Lihoud (la synagogue, appelée mosquée des Juifs) ou de Laâqîba (la petite côte) précèdent avec leur menthe et leur coriandre, le cumin des qarantita (à Oran on dit calantica) ou de la sépia en sauce, des tass loubia (soupe de haricots), qui annoncent les grands marchés et le voisinage du port et ses fritures de sardines.
C’est peut-être la seule ville, où sous le couvert de centaines de fast-food baptisés Mac Dido, Mac Kamel etc., c’est toute la cuisine traditionnelle qui a été réinventée et remise à l’honneur. Voilà pour les odeurs ! Alger ressemblerait à n’importe quelle ville du Sud de la France ou à Tunis si elle n’avait pas sa musique propre : ce sont aussi des chants, des appels prolongés, qui se rapprochent et s’éloignent sans qu’on en saisisse le sens ou la raison, marchands de légumes qui vantent leurs patates ou leurs tomates, marchands ambulants, aiguiseurs, acheteurs de vieux vêtements ou de meubles… Alors que les symboles du pouvoir s’accrochent avec encore plus de force aux bâtiments de l’époque coloniale concentrés dans l’ancien centre-ville (la Préfecture, L’Assemblée Nationale et les sièges des grandes banques sur le Front de mer, le Gouvernement au Palais du Gouvernement, (ancien Gouvernorat Général de l’Algérie), de même que les professions traditionnelles (avocats, médecins spécialistes, transitaires et importateurs), les acteurs majeurs ont déjà émigré vers les hauteurs, et les grandes enseignes franchisées ne s’y trompent pas, elles qui sont établies sur les collines../… (extrait).
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