Le cinéaste : Majid Majidi
Personne n’avait prévu la nomination aux Oscars des Enfants du ciel troisième long métrage réalisé par l’acteur des premiers films de Mohsen Makhmalbaf. Aujourd’hui, Majidi a une réputation du réalisateur le plus primé d’ Iran. Comme il le raconte lui-même, Majidi a passé toute son enfance dans les quartiers pauvres de Téhéran. La « Honoroble Poverty » (« Noblesse de la pauvreté ») qui, selon Majidi, est une des caractéristiques de ses films, est un renvoi à son adolescence. Une époque qu’il ne qualifie d’ailleurs pas d’heureuse. Jusqu’à sa rencontre avec une troupe de théâtre locale qui change le cours de sa vie. Le chef de la troupe, un jeune révolutionnaire religieux qui avait servi de martyre au début de la révolution vainfluencer Majidi et les autres membres de la troupe jusqu’à ce jour. Après la révolution, Majidi participe à la création du Centre artistique avec Makhmalbaf et Mohammad Kasebi (acteur des films comme Boycott et The Father) et d’autres artistes. Investis d’un sentiment de devoir social et d’une mission religieuse, ils y commencent leurs activités théâtrales et cinématographiques. S’ensuivent un travail pour la radio, la rédaction de scénarios, et la participation à des télépièces.
Majidi tient le rôle principal dans des dizaines de films à caractère social et à penchant religieux. Tous ces films sont produits et distribués par le Centre artistique. Avec M. Makhmalbaf, Majidi connaît un tournant dans sa carrière de comédien avec Boycott, qui constitue une renaissance cinématographique pour le Centre artistique. Il est bien reçu par le public et la critique et donne l’occasion à Majidi d’entrer dans la cour des comédiens professionnels.
Lorsque Makhmalbaf quitte le Centre artistique, leurs relations s’espacent. Après avoir réalisé quelques courts métrages, Majidi prend son envol avec le film Baduk. Par la suite, fort de son expérience personnelle, il réalise 4 films et en moins de 7 ans, devient un réalisateur et un scénariste de premier plan. On ne peut ignorer cependant l’influence de l’écrivain et journaliste Seyed Mehdi Shojai dans l’origine du style cinématographique de Majidi. Majidi,mais aussi M. Makhmalbaf, E. Hatamiki, R. Mollagholipoor, M. Rai, S. Daad et B. Afkhami forment un groupe de cinéastes de la postrévolution, ayant des penchants politiques et religieux. Chaque membre du groupe a emprunté une voie cinématographique en accord avec ses propres convictions. Ils sont allés si loin que leurs derniers films sont complètement différents des premiers.
Majidi a acquis une expérience principalement dans le domaine de la forme et de la structure cinématographiques. Il a tenté d’acquérir l’art authentique du cinéma sans rompre avec ses engagements religieux. Un jour, il a dit : « Même si beaucoup de gens en Iran font tout pour présenter le cinéma comme une industrie, à mon avis, ils se trompent, le cinéma est un art à part entière. » C’est pourquoi tous ses films sont le fruit d’une expérience basée sur la forme narrative et que les thèmes qu’il aborde varient rarement. L’ensemble de ses films aborde des sujets comme la justice sociale, la dignité du pauvre, l’amour, l’humanitarisme et la moralité religieuse. Dans tous ses films, Majidi utilise des comédiens non professionnels, des intrigues simples sans événements superflus et un aspect réaliste empreint d’une tendance poétique. Mais Majidi a une idée différente de la réalité. Il explique « Le fait de montrer et de poser des questions essentielles ne présente pas d’attrait dramatique. Ce qui est important, c’est ce que chacun recherche dans la réalité. Les faits, quant à eux peuvent être facilement changés.
Le comédien : Ezzatollah Entezami
Ezatollah Entezami débute sa carrière cinématographique tardivement, à l’âge de 45 ans, après de multiples expériences théâtrales. En 25 années, il joue dans 35 films, deux séries télévisées et réalise un téléfilm. A l’aune de sa popularité, cette liste aurait pu être beaucoup plus longue. Mais Entezami apporte un soin extrême au choix de ses rôles. Il sera d’abord et surtout remarqué dans le fameux La hache de Dariush Mehrjui (1969). Puis, s’il a collaboré à un nombre important de films aux succès mitigés, ses prestations marquent toujours les spectateurs. En Iran, sa popularité est si communément partagée qu’elle ne se discute même plus. Aîné d’une famille de quatorze enfants, Ezattolah Entezami naît en 1924 dans un vieux quartier de Téhéran. Son père, sergent dans l’armée, les quitta avant sa naissance pour réprimer la rébellion de la tribu Shasavan, dans le Nord Ouest de l’Iran. II semble avoir trouvé la mort au cours d’une bataille. La famille Entezami, marquée par la tragédie, perdra cinq de ses enfants. Malgré les croyances religieuses strictes qu’on y cultive, Ezatollah fut attiré instinctivement par le théâtre. Il débute sa carrière dans les années 40 avec un one man show dans lequel, sur fond de musique populaire, il déclame des vers satiriques sur des sujets d’actualité sociale et politique.
Après le coup d’état de 1954, il est arrêté comme de nombreux artistes, intellectuels et politiques. Son dossier ne l’accusant d’aucune offense sérieuse, on le relâche quelques mois plus tard. II quitte alors l’Iran avec l’intention de réaliser son rêve de toujours : étudier le théâtre classique. De Retour en Iran, il joue, en dix ans, dans plus de 400 pièces et drames TV et assure la réalisation de quelques uns. Durant plusieurs saisons, il voyage à travers le pays en compagnie d’une troupe qui se produit principalement dans des camps de l’armée. Devenu l’un des acteurs iraniens les plus prestigieux, il prend néanmoins quelque distance avec le théâtre populaire au moment où l’avant garde s’affirme. Il rencontre alors Gholam – Hossein Saedi (l’un des dramaturges des années 60 les plus influents, mort à Paris en 1985), auteur de la pièce La Vache et Dariush Mehrjui qui souhaite l’adapter au cinéma. Le film est d’abord interdit en Iran, mais, récompensé par le prix de la Critique Internationale du festival de Venise, les censeurs sont contraints d’autoriser des projections privées. Selon eux, la description d’un village pauvre dans lequel la mort de l’unique vache entraîne son propriétaire dans la folie, jetait le discrédit sur le pays. Les critiques libres de toute considération politique, reconnurent en La Vache une profonde fable philosophique. Ezatollah Entezami fit donc une seconde prestation remarquée dans Le Cycle. Mehrjui tourna le film en 1975, mais il resta censuré jusqu’au printemps 1978. Dans un réalisme amer et mordant, il présentait une allégorie de la société iranienne. Ezatollah Entezami joua aussi dans le mini feuilleton de Mehrjui intitulé Alomut, vision moderne de l’histoire ancienne. Inachevé, le projet fut abandonné sans qu’aucun épisode ne soit diffusé. Dans les années 80, il a joué dans cinq films de Dariush Mehrjui (dont Hamoon, 1989, Les Locataires, 1986). Il a été remarqué dans deux films majeurs ll était une fois le cinéma (1992) de Mohsen Makhmalbaf et Le Foulard bleu (1995) de Rakhshan Bani-Etemad. Aujourd’hui, il dirige le Musée du Cinéma de Téhéran et continue une brillante carrière d’acteur.
Les premières disciplines artistiques auxquelles s’intéresse Abbas Kiarostami sont la peinture et le dessin. Il suivra, tout en travaillant comme employé de bureau de la police des routes, les cours de la faculté des Beaux-Arts de Téhéran. C’est via une activité de graphiste et d’affichiste qu’il s’introduit dans le monde du cinéma… publicitaire.
De 1960 à 1969, il réalise plus de 150 films promotionnels avant de passer aux génériques de films de fiction, dont celui du fameux Gheyssar de Massoud Kimaï. A cette date, par l’intermédiaire de Firuz Shirvanlu, directeur de Kanoon, l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes, il participe à la création de son département cinéma. Cette section deviendra l’un des studios les plus prestigieux d’Iran. Amir Naderi, Bahram Beyzaï, Dariush Mehrjui, Ebrahim Forouzesh, Jahar Panahi entre autres y ont travaillé. C’est dans ce cadre qu’Abbas Kiarostami réalise son premier court métrage Le pain et la rue, l’histoire d’un petit garçon avec du pain sous le bras, confronté à un chien errant. Il sera suivi, jusqu’en 1983, d’une quinzaine d’autres œuvres de moins d’une heure. L’lnstitut produira la quasi-totalité de ses films, dont il assure également le scénario et souvent le montage.
Kiarostami réalise Le Passager, son premier long métrage en 1974. II y peint le monde d’un jeune garçon vivant dans une petite ville et qui n’a qu’un désir : se rendre à la capitale pour assister à un match de football avec son équipe favorite. Celui-ci met toute son énergie à satisfaire ce rêve, parvient à se rendre à la ville mais, fatigué, s’endort avant la partie et ne se réveille que lorsqu’elle est finie. Pour sa neuvième édition, le Festival International pour Enfants de Téhéran décernera son grand prix à ce film. Mais ce n’est qu’en 1977 que Kiarostami voit l’une de ses productions profiter d’une véritable sortie commerciale. Le Rapport présente la vie d’un cadre, de ses problèmes quotidiens au travail ou avec sa femme. Jusqu’au début des années 90, à Devoirs du soir et en passant par Où est la maison de mon ami (87), son sujet de prédilection restera néanmoins le monde de l’enfance. Ce dernier film conte les aventures d’un garçon voulant ramener son cahier à un copain d’école pour lui éviter une sanction. Le cinéaste iranien qui s’interroge sur le système d’éducation d’un pays, sur la société et les adultes qu’il produit est, l’année suivante, récompensé pour la première fois en occident à Locarno. Ce festival présentera d’ailleurs en 1995, sa première grande rétrospective.
Les œuvres de Kiarostami sont en partie marquées par un goût pour le travail avec des acteurs non professionnels et les tournages en décors naturels. II y a des enfants dans le cinéma de Kiarostami, mais aussi tout un milieu social dont il dresse un portrait d’une extrême précision. ainsi que des messages d’amour et d’amitié. Le réalisme, la poésie et un humour tchékovien et persan constituent d’au très signes distinctifs de ses films. Ce qui frappe aussi le spectateur, c’est l’incroyable complexité d’un système qui affiche, en apparence, la plus grande simplicité. Avec Close-Up (90), écrit en quatre jours à partir de faits réels qui impliquent le réalisateur Mohsen Makhmalbaf, il affirme une profondeur dans l’analyse du fonctionnement du cinéma lui-même. Le film joue en permanence avec le vrai et le faux. Une réflexion prolongée dans Et la vie continue (92) et Au travers des oliviers (94), qui profitera d’une diffusion mondiale, œuvres sur la nécessité d’organiser une fiction pour rendre compte du réel, sur « les mensonges destinés à produire une vérité encore plus grande ». En 1997, il est distingué par la Palme d’or à Cannes pour Le goût de la cerise ainsi que par la médaille « Fellini » de l’Unesco. Le film se présente comme un conte philosophique dont le héros suicidaire est à la recherche d’un sens à sa vie. Sa présentation à Cannes ne sera possible qu’après de vives négociations avec les autorités iraniennes. Après coup, celles-ci n’apprécièrent guère le baiser de Catherine Deneuve lui remettant la Palme !
Son film suivant, Le vent nous emportera (99), est une production franco-iranienne placée sous le signe du grand poète et scientifique Omar Khayyam. On y voit un groupe d’étrangers arrivé dans un village du Kurdistan. Nul ne connaît les raisons qui ont motivé leur arrivée. Kiarostami attendra quatre ans le permis de projection en Iran, qu’il refusera car ses films sont voués à une stricte confidentialité en Iran : « Les autorités veulent prouver que ce type de cinéma n’a rien à voir avec le peuple iranien, qu’il est destiné aux festivals internationaux et récompensé pour des raisons politiques plutôt qu’artistiques » explique le réalisateur toujours résident de Téhéran.
Son dernier film Ten (2002) se déroule intégralement dans l’habitacle d’une voiture. Au volant, une femme au foulard blanc et au visage souvent masqué par des lunettes fumées, véhicule successivement plusieurs passagers : de nombreuses femmes et son propre fils, unique figure masculine. Abbas Kiarostami a par ailleurs écrit plusieurs scénarios pour d’autres cinéastes, notamment celui de La clé (86) d’Ibrahim Forouzesh. II a été membre du jury aux festivals de Locarno (1990), Cannes (1993), Venise (1995) et San Sebastian (1996). Ses films contemplatifs, à l’intrigue tenue et au rythme lent lui ont taillé en quelques années une réputation internationale qui le classe parmi les plus grands auteurs contemporains.
Rakhshan Bani Etemad
Etudiante de l’école des Beaux-Arts de Téhéran, Rakhshan Bani-Etemad devient scripte et assistante réalisatrice pour l’IRIB (télévision de la République Islamiste). Elle réalise ensuite une série de courts métrages documentaires avant de signer, en 1988, Off limits, son premier long métrage, une satire des incohérences de la bureaucratie. A 48 ans, elle est la réalisatrice iranienne la plus intéressante du moment. Emblème de la féminisation de la profession après la Révolution, elle a affronté les tabous les plus solides de la République islamiste tout en explorant les genres les plus variés. Ses films abordent en effet avec courage et lucidité de nombreux thèmes sociaux.
« Mon profond intérêt pour le cinéma du réel, le documentaire, est à mettre en parallèle avec le regard que je porte sur le cinéma et l’art, déclare-t-elle. Dans une société comme celle de l’Iran, le public est confronté à de multiples difficultés d’ordre culturelle, économique, sociologique. La fonction du cinéma est alors à mon sens, de refléter l’ensemble de ces problèmes. Ce style permet d’informer les spectateurs. C’est, je le pense, la meilleure façon d’agir ». En 1989, elle met en scène Jaune Canari (89), une comédie dans laquelle un jeune couple ruiné s’exile dans la capitale Téhéran et s’y voit confronté à la corruption, au vol, à la drogue et à la trahison. L’année suivante, Les devises étrangères, conte l’histoire d’un fonctionnaire découvrant les ficelles du marché noir, la dissimulation et l’avidité. Avec Nargess (92), elle bouscule à la fois les interdits concernant la représentation des femmes et ceux qui encadrent le sujet. Elle crée le personnage ambigu d’Afaq, femme d’un certain âge, droguée et receleuse, éperdument amoureuse d’un jeune homme qu’elle entretient grâce à son remariage avec lui, avant de lui sacrifier son propre amour et son honneur. Dans Le Foulard Bleu, en 1995, Rakhshan Bani-Etemad récidive, traitant les méandres de relations amoureuses habituellement non traités dans le cinéma iranien. Dénonçant le poids de la tradition, des conventions sociales et familiales qui rendent impossibles une relation amoureuse entre un homme et une femme de condition sociale différente, elle montre un mariage temporel (mariage religieux discret permettant de vivre légalement sous la loi islamique, mais sans reconnaissance sociale), comme seule issue pour ces amoureux.
Rakhshan Bani-Etemad, forte de sa place respectable dans le monde du cinéma estime pourtant que cette situation n’est pas le fruit d’une revendication féministe : « Je ne sais pas ce que c’est qu’un cinéma féminin et j’ai toujours refusé de prendre part à un festival de cinéma féminin ». Elle rappelle que, confrontées à la tradition, les femmes doivent faire face à de multiples problèmes. Mais néanmoins, dans certains secteurs professionnels, qu’ils soient scientifiques, culturels ou artistiques elles assument des responsabilités de haut niveau. Elles sont largement majoritaires chez les étudiants (60 % contre 40) et dans l’univers du cinéma, elles sont présentes à tous les niveaux et dans toutes les branches. « Une étude de Debra Zimmerman indique que la représentation professionnelle des femmes y est la même qu’aux Etats-Unis, soit la plus importante du monde ! ». Aujourd’hui, fière de sa carrière professionnelle et de son intégrité, elle regrette néanmoins « de n’avoir pas réalisé certains films. Pas pour moi même, mais pour tout le cinéma iranien. Je crois que ces dernières années, nous autres réalisateurs n’avons pas su être assez en phase avec les aspirations du public et du monde iranien. Nous n’avons pas su accompagner les velléités profondes de réformes ».