De la dynastie Omeyyade à l’empire Ottoman
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L‘expansion des populations arabes aux VIIe et VIIIe siècles les firent entrer en contact avec une variété de peuples différents qui ont, peu à peu, influencé leur culture. L’ancienne civilisation perse fut, de toutes, celle qui eu l’impact le plus important sur la littérature arabe. La Perse aimait toujours à se considérer comme la quintessence de la culture islamique en dépit de la régression de son influence depuis plusieurs siècles. » Shu’ubiyya » est le nom de la querelle qui opposait la vie rude, rurale et désertique des Arabes à celle du monde perse, plus aisée et plus raffinée. Bien que cela ait provoqué des débats passionnés parmi les érudits et contribué à la diversification des styles littéraires, ce ne fut pas un conflit préjudiciable car il y avait plus important à faire à l’époque, comme par exemple de forger une identité culturelle islamique unique. L’écrivain persan Bashshar ibn Burd résuma sa propre position dans les quelques lignes de poésie suivante :
Jamais il ne chanta les chants des chameaux derrière une bête galeuse, Ni ne transperça la coloquinte amère, complètement affamé Ni ne déterra un lézard du sol et le mangea…
L’héritage culturel des habitats arabes du désert a continué à montrer son influence même si de nombreux écrivains et érudits vivaient dans les grandes cités arabes. Lorsque Khalid ibn Ahmad a énuméré les parties de poésie, il nomma les strophes « bayt », ce qui signifie « tente », et les pieds « sabah », ce qui signifie « corde de tente ». Même au cours du XXème siècle cette nostalgie pour la vie simple du désert apparaissait dans la littérature ou du moins les écrits postérieurs étaient consciencieusement remis au goût du jour.
Une lente résurgence du persan et une délocalisation du gouvernement et des principaux centres d’apprentissage à Bagdad réduisirent la production de la littérature arabe. Les thèmes et les genres de la prose arabe furent majoritairement repris en persan par des auteurs comme Omar Khayyam, Attar et Rumi, qui furent tous manifestement influencés par les premières œuvres. Au début, la langue arabe conserva son importance dans les domaines politique et administratif, mais avec l’ascension de l’Empire ottoman son usage fut restreint à celui de la religion uniquement. C’est ainsi qu’à côté du persan, les nombreuses variantes des langues turques domineront la littérature des régions arabes jusqu’au XXe siècle, tout en intégrant quelques influences sporadiques de l’arabe.
Mais revenons un peu en arrière pour suivre l’évolution de cette littérature à travers les diverses époques de l’empire musulman, jusqu’a à sa quasi disparition notamment durant la période de domination ottomane puis coloniale, jusqu’ à ce que l’on a appelé la Nahda*
La littérature Omeyyad**
La Première Fitna, dissension, crise) qui a créé la scission chiite-sunnite à propos du calife légitime , a eu un grand impact sur la littérature arabe de cette période Alors que la littérature arabe – avec la société arabe, essentiellement poétique et orale – était grandement centralisée à l’époque du prophète Muhammad et des Compagnons qui lui ont succédé , elle s’est fracturée au début de la période du califat omeyyade , alors que les luttes de pouvoir ramenaient au tribalisme. La littérature arabe à ce moment a connu une forte régression, rejoignant presque celle de la Jahilya (période pré-islamique) , avec des marchés tels que Kinasa près de Kufa et Mirbad, près de Basra , où la poésie dans l’éloge et l’avertissement des partis politiques et des tribus a été récitée. Les poètes et les érudits ont trouvé le soutien et le patronage sous les Omeyyades, mais la littérature de cette période était limitée en ce qu’elle servait les intérêts des partis et des individus, et en tant que telle n’était pas une forme d’art libre. Elle était essentiellement au service de la cour califale.
Les auteurs notables de cette poésie politique incluent Al-Akhtal al-Taghlibi, Jarir ibn Atiyah , Al-Farazdaq , Al-Kumayt ibn Zayd al-Asadi , Tirimmah Bin Hakim et Ubayd Allah ibn Qays ar-Ruqiyat.
Il y avait aussi des formes poétiques de rajaz*** – maîtrisées par al-‘Ajjaj et Ru’uba bin al-Ajjaj – et ar-Rā’uwīyyāt, ou « poésie pastorale » – maîtrisées par ar-Rā’ī an -Namīrī et Dhu ar-Rumma .
La littérature Abbasside
La période abbasside est généralement reconnue comme le début de l’ âge d’or islamique et a été une période de production littéraire importante. La Maison de la Sagesse de Baghdad a accueilli de nombreux chercheurs et écrivains tels qu’Al-Jahiz et Omar Khayyam . Un certain nombre d’histoires dans les Mille et Une Nuits présentent le calife abbasside Harun al-Rashid, souvent personnage central dans de nombreux contes . Al-Hariri de Basra était une figure littéraire notable de cette période.
Certains des poètes importants de la littérature abbasside étaient: Bashar ibn Burd , Abu Nuwas , Abu-l-‘Atahiya , Muslim ibn al-Walid , Abbas Ibn al-Ahnaf , et Al -Hussein bin ad-Dahhak . Mais la littérature abbasside a surtout été marquée par l’islamisation de la Perse et intégration dans l’empire. Peu à peu, le « génie » Perse, même arabisé a fini par s’imposer et les plus grands auteurs « arabes » de l’époque, y compris les scientifiques étaient en fait persans.
C’est sous l’empire abbasside, en déliquessence qu’à en réalité commencé le déclin de la littérature arabe , mais aussi celle des autres disciplines, et ce jusqu’à la chute de l’empire et la prise de Baghdad par les mongoles.
Andalousie
L’essor de la littérature arabe en al-Andalus correspondait à l’ âge d’or de la culture juive en Ibérie . La plupart des écrivains juifs d’al-Andalus – tout en incorporant des éléments tels que la rime, le mètre et les thèmes de la poésie arabe classique – ont créé de la poésie en hébreu, mais Samuel ibn Naghrillah , Joseph ibn Naghrela et Ibn Sahl al-Isra’ili ont écrit de la poésie en arabe . Maïmonide a écrit son repère Dalãlat al-Hā’irīn ( Le Guide pour les Perplexes ) en arabe en utilisant l’ alphabet hébreu .
La littérature arabo-andalouse a connu un essor continu, s’enrichissant de tout ce que la péninsule ibérique possédait comme richesses culturelles plurielles, juives mais aussi espagnoles.
Elle n’a à proprement parler pas connu de phase de déclin. Elle a été stoppée dans sa lancée par la Reconquête et le départ forcé des musulmans et des juifs d’Andalousie. Heureusement, ils ont emporté dans leurs bagages l’essentiel du patrimoine culturel Andalou ainsi que le savoir-faire dans divers métiers. Installés au Maghreb, les Andalous ont transmis tout ce savoir à leur coreligionnaires maghrébins.
La littérature maghrébine
Fatima al-Fihri a fondé l’Université al-Qarawiyiin à Fès en 859. Particulièrement à partir du début du XIIe siècle, avec le parrainage de la dynastie almoravide , l’université a joué un rôle important dans le développement de la littérature dans la région, accueillant des universitaires et des écrivains de la région. dans tout le Maghreb, al-Andalus et le bassin méditerranéen. Parmi les savants qui ont étudié et enseigné il y avait Ibn Khaldoun , al-Bitruji , Ibn Hirzihim ( Sidi Harazim ), Ibn al-Khatib et Al-Wazzan ( Leo Africanus ) ainsi que le théologien juif Maimonides . La littérature soufie a joué un rôle important dans la vie littéraire et intellectuelle de la région à partir de cette première période, comme le livre de prières de Muhammad al-Jazuli, Dala’il al-Khayrat .
Sous l’empire ottoman
Comme nous l’avons signalé dans nombre de nos articles, pour nous la période de domination ottomane fut une période de régression dans tous les domaines. A commencer par l’utilisation de la langue arabe désormais remplacée par le turc dans toutes les administrations. Quelques écrivains de langue arabe ont néanmoins continué à produire, dans un environnement plutôt défavorable..
Parmi les poètes importants de la littérature arabe à l’époque de l’ Empire ottoman, citons ash-Shab adh-Dharif , Al-Busiri auteur de » Al-Burda « , Ibn al-Wardi , Safi al-Din al-Hilli et Ibn Nubata . Abd al-Ghani al-Nabulsi a écrit sur divers sujets, y compris la théologie et les voyages.
Heureusement, une nouvelle forme de « littérature » a réussi à se frayer un chemin , plébiscitée par les populations arabophones et berbérophones: la poésie populaire en dialectale dite « chi’r malhûn », dont de nombreuses qassida (poèmes) nous sont parvenues intactes, relayée par des chanteurs de renom, dont le fameux poème-chanson Hiziya.
* Au XIXe siècle, la Nahda ( النهضة, al-Nahḍa) que l’on traduit par « Renaissance » est un mouvement transversal de réapparition, de résurgence culturelle arabe moderne, à la fois littéraire, politique, culturel et religieux. Initialement, cette mouvance est largement influencée par les évènements historiques en Égypte. Elle est liée à la décomposition politique de l’empire ottoman et au moment de réinvention identitaire du monde arabe qui l’accompagne.
** Les Omeyyades, ou Umayyades, (en arabe : الأمويون (al-ʾUmawiyyūn), ou بنو أمية (Banū ʾUmayyah)) sont une dynastie arabe qui gouverne le monde musulman de 661 à 750 puis al-ʾAndalus de 756 à 1031. … Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet.
*** Terme de métrique en poésie arabe pré-islamique. La tradition critique tend à considérer la mesure rajaz comme la plus ancienne, mais en même temps diminuée pour être plus facile. en jahiliyya la rajaz a été employé plus fréquemment dans les chansons populaires et dans les poèmes dédiés aux chameaux.
Bibliographie indicative
– Jacques berque : les Arabes, Sindbad, 1973 – A. Miquel : les 1001 nuits, Gallimard/ la pléiade – la littérature arabe , PUF 1969 – Pierre Larcher : Les mu’allaqât ou les 7 poèmes pré-islamiques Ed Fata Morgana – Marc Bergé, Les Arabes, Ed philippe Auzou-Lidis 1983 – Haroun al-Rachid et le temps des Mille et une nuits André Clot Fayard, Paris, 1986