NOMS « ARABES »: entre contraintes traditionalistes, exigences colonialistes et fantaisies administratives…
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Par M. Boudaakkar
Acte de naissance 1896
Les noms propres d’origine arabe ou supposés tels intriguent en France. Même s’il est de bon aloi le plus souvent de ne pas trop y insister. « C’est comme ça, on est en France, on fait avec… Place pour tout le monde». Pourtant, à l’instar de l’écriture arabe, ils fascinent parfois mais aussi ils font peur dans certaines circonstances.
Il s’agit là d’ un véritable sujet- casse-tête pour les arabes originaires de tout pays (les premiers concernés) y compris la frange intellectuelle mais aussi pour l’administration française , les administrations des pays d’origines et plus globalement dans le « vivre-ensemble » quotidien de notre République multi-culturelle.
Nous allons ici essayer de faire un tour d’horizon le plus large possible, sans prétendre à l’exhaustivité (tant le sujet est large et complexe) .
Nous espérons que des internautes éclairés nous apporterons leurs rectifications, critiques et leurs savoirs dans le domaine.
- LES PRENOMS
En principe, une majorité de prénoms arabes dits « noms propres » proviennent de noms commun et on un sens.
-Karîm = généreux
– Warda = Rose
– Nabîla = noble etc…
a- les prénoms à consonance religieuse
Dans l’Islam traditionnel, Dieu possède 99 noms -qualificatifs qui le distinguent par delà les êtres profanes : Al-Karîm, al-Rahmân, al-Qâdir, al -Malik, al-Samad, ….
La tradition veut que ces prénoms, s’ils sont attribués à des enfants à leur naissance soient précédés de la mention ‘abd. Concept compliqué que nous essayons de traduire par : « créature de… » ou pour certains : « esclave de « ou « soumis à… »
On ne peut pas usurper facilement l’un des noms sacrés d’Allâh ! Des parents bien au courant du « fait religieux » se garderaient bien de d’octroyer directement l’un des noms-attributs de Dieu, sans le précéder humblement par le « préfixe » abd afin de bien préciser que la qualité portée par le prénom est d’essence divine, exigeant du prénommé d’en être à la hauteur et aux autres de lui manifester du respect du fait qu’il porte l’un des noms du Créateur.
Résultat, dans la tradition respectueuse , on a des :
- ‘Abd al Qâdir . (Créature du Tout-Puissant). Transcrits en Abdelkader , réduit, France oblige en Kader ; et même mieux en Kad, comme Kad Merad, l’acteur !
- Dans la lancée, ajoutons que de nombreuses familles d’origine immigrée , au courant ou non de cette histoire des 99 noms sacrés de Dieu s’en fichent un peu de cette règle des ajouts obligatoires de ‘abd et appellent allègrement leurs garçons tout simplement : Karîm, , Samad, bref en leur attribuant tous les attributs de Dieu sans soucis d’allégeance…
- Bien entendu, il faut y ajouter tous les prénoms directement inspirés de la religion musulmane à commencer par celui du prophète largement répandu dans le monde arabo-musulman, celui de ses illustres Compagnons : Ali, Omar, Othman… mais aussi ceux des prophètes (nombreux) cités par le Coran . Aïssa (Jésus), Ibrahim, Moussa, Nûh (Noë) , Youssef (Joseph) , Elias, etc…
Pour les filles, il n’y a pas de problème : les noms d’Allâh étant au masculin, les parents n’ont que l’embarras du choix, en puisant:
- dans la nature : Warda (rose), Zahra (fleur), Yasmine (jasmin), GHzala (Gazelle), Taos (paon)…
- les qualités humaines, esthétiques ou morales.
- Remarque : une majorité de noms féminins se terminent par le son « a » à l’oral. En fait une tâ marbouta à l’écrit qui en principe se prononce si l’on respecte la lecture « classique » . Exemple : Fatima, communément s’écrit فاطمة, avec une lecture complète et selon la déclinaison, cela pourrait se lire fatimatou, fatimata ou fatimati (n). Cette marque casuelle est absente dans les prononciations maghrébines, mais présente dans les prénoms attribués aux africaines de confession musulmane. Mais il y a aussi de nombreux prénoms féminins qui se terminent par « a » à l’oral sans présence de la tâ marbûta : Houda, Mouna, leyla هدى منى ليلى … . D’autres s’apparentent à des prénoms masculins : Hind, Nawâl, Kelthoum…
b- les prénoms « ordinaires »
La majorité des prénoms arabes sont donc des noms communs et ont un sens commun renvoyant à des réalités concrètes ou abstraites , de l’ordre de l’esthétique par exemple ou de l’éthique.
Citons en vrac :
- Djamel ou Jamel = beauté
- Chbell = jeune lion
- Ghzâla = gazelle
- Mahfûdh = protégé ( par Dieu)
- Nûr = lumière
- Etc…
L’observation de l’évolution des prénoms arabes, même effectuée « à la louche » faute de statistiques et d’études sérieuses dans le domaine révèle des aspects étonnants sur le plan sociologique.
D’abord, le clivage classique campagne-villes ou dira-t-on aujourd’hui blédars -citadins. Rappelons que jusqu’à aujourd’hui le mot citadin se traduit le plus souvent par hadhrî qui veut dire… civilisé !
Alors , on avait côté campagne des :
-Fatma ( en quantité), Zohra, Aïcha , Messaoud, Râbah, Kaddour, Khaddoudja (déformation de Khadîja) , Aldja, Warda et sa variante wardiyya etc..
– côté « civilisé », on avait des Rachid, Walid , Nora, Nadia , Salim, Karim, Mouna etc…. Des prénoms, comme on peut le voir à la transcription, moins robustes, moins rustiques et moins « barbares ».
Les noms et prénoms, dans le monde arabe mais aussi en Occident trahissent entre- autre l’origine sociale, l’extraction profonde de l’individu, homme ou femme. Les parents, de nos jours et sur les deux rives de la méditerranée réfléchissent à cent fois avant de donner un prénom à leur fille ou à leur garçon.
c- rapports de classes sociales, effets de mode et snobisme
En effet, les choses ont évolué en France mais aussi dans les pays arabes.
Attribuer un prénom, c’est un enjeu colossal : c’est à travers son prénom en partie que l’enfant va construire sa personnalité, sa vision du monde et tenter d’y trouver sa place.
Alors les enchères s’envolent : aux plus riches et donc souvent les plus cultivés ou du moins les plus au fait de faire monter la température .
Côté riches , on a aujourd’hui des Nawfal, Ilhem, Omnya, Inès (prénom bien arabe), Shayma (prénom bien arabe) , Norhen , Soheil et bien d’autres…
Côté moins riche on a des Dounia, Mériem (souvent transcrit en Myriam à la manière hébraïque), Billal (on découvre les héros de l’Islam !), Leyla (tant de starlettes portent ce prénom)
Enfin côté « intégration réussie » on a des Sonia, Lydia, Lena, Alma…
Plus difficile de trouver pour les garçons des combinaisons de ce genre, qui donnent une consonnance à la fois occidentale et arabe . Encore une fois, les « mâles » sont pris à leur propre piège patriarcal !
Pour terminer, ajoutons que l’ex-empire musulman avait intégré nombre de peuples et de cultures non arabes, d’où pléthore de prénoms tout à fait « intégrés », banalisés, devenus familiers mais à consonnance bérbère, persanne ou africaine : Akli, Shéhérazad, Amazigh, Shirhâne, Jihâne, Fatoumata (arabo-africain) , Mamadou (déformation africaine de Muhammad), Syrine (probablement persan ?) .
NOMS DE FAMILLES: les effets de la colonisation
C’est la partie la plus complexe et sans doute la plus amusante du sujet.
On sait que les arabes dans leurs traditions ancestrales, n’avaient pas la pratique « occidentale » du nom de famille. L’individu, femme ou homme se voit attribuer un prénom, il ou elle sera distingué(e) par rapport aux autres par son ascendant immédiat ou par référence à son grand-père et/ou son arrière grand-père etc..
Exemples :
Walid. Père : Salmân = Walid Ibn ou Ben Salmân (Walîd, fils de ..)
En cas d’homonymie , on rajoutera le prénom du grand-père : Rushd.
Cela donne : Walid Ibn Salmân Ibn Rushd
Si c’est une fille, appelons-la Nohâd. Père : Khâlid. Cela donnera : Nohâd bint (féminin de Ibn) Khâlid .
Rappelons que dans le système ancien, on ne pouvait recourir qu’aux ascendants masculins…
Pour les pères, ils se distinguaient par leur premier descendant, de préférence le garçon : pour notre exemple précédent, ce sera Salmân Abû Walîd = père de…
Et voilà que ce beau système, bien rodé va être mis à mal après les siècles de déclin de la civilisation arabo-musulmane, la domination Ottomane (qui a joué aussi sur les noms et prénoms, on y reviendra) par la colonisation du monde arabe à la fois par les britanniques et les français !
Pour faire court, les nouvelles administrations dominantes à titre de protectorat ou de colonisation de peuplement comme ce fut le cas en Algérie, ne pouvaient pas s’accommoder de ce système de filiation. Il fallait recenser les populations dominées, tribu par tribu, leur imposer voir leur inventer un « nom de famille » commun pour s’y retrouver selon les critères coloniaux de l’époque. Rappelons que les administrations coloniales de l’époque des débuts étaient essentiellement militaires. Cela donne un avant-goût de la délicatesse, du raffinement et surtout de la précision dans la transcription en caractères latins de ces noms de famille imposés sous la contrainte et souvent sans concertation avec aucune autorité « autochtone » censée donner son avis sur le bien-fondé ou non de tel ou tel patronyme.
A ce niveau de décryptage osons avouer nos limites. Ce qui va être dit concerne surtout le Maghreb. Nous n’avons pas assez de connaissances pour expliquer ce qui s’est passé dans les protectorats britanniques au Moyen-Orient, péninsule arabique y compris. Si des internautes avertis et concernés veulent nous éclairer, ils seront les biens-venus sur cette modeste tribune.
L’administration coloniale donc essentiellement militaire décide de réunir toutes les tribus, une à une , douar par douar (= (village campagnard) . Avec souvent quelques officiers, un scribe et un « traducteur » indigène d’occasion, lui-même proche de « l’analphabétisme bilingue » .
On fait défiler les gueux en leur demandant de choisir un « nom de famille » !
Il y eut, ceux avertis qui ont proposé des noms honorables, justifiés et gratifiants et puis la majorité des paysans analphabètes qui s’en sont remis à « la science » du traducteur occasionnel et au perfectionnisme du scribe, qui souvent, croyant bien faire, faisait du zèle pour passer les noms arabes qui lui parvenaient à une transcription latine dont il n’avait reçu aucune formation et sans règles précises. Résultat : une catastrophe, dont on ne peut aujourd’hui que rire , faute d’en corriger les stigmates orthographiques.
Allez: une pause avec l’ami Fellag. Du concret et de la bonne humeur !
Noms, prénoms, toponymes : massacre à la tronçonneuse !
Je me permets ici d’égratigner un peu la presse audio-visuelle française pour le peu de cas que les journalistes mettent à respecter au moins un minimum la prononciation des noms propres (y compris les toponymes), notamment quand ils sont arabes.
Le plus souvent : aucun effort ! Le prof donne une très mauvaise note qui ne sera pas révélée ici.
Lorsque j’exerçais dans le privé, j’ai certes eu l’honneur de recevoir en formation des journalistes de l’AFP et de plusieurs chaînes de télé ainsi que de quotidiens prestigieux. L’école de formation de journalistes envoyaient aussi quelques stagiaires sur la base de choix volontaires, si mes souvenirs sont bons.
Mais cela ne représente qu’une goutte d’eau dans l’océan de tous ceux qui en France travaillent dans les médias.
Mon sentiment est que, dans l’inconscient collectif de l’ »intelligentsia » française, encore aujourd’hui, la langue française, langue de colonisation, faut-il le rappeler ? reste un référent universel, connue nécessairement par tout le monde. Alors, on prononce à la française ça fait plus chic et tant pis si on écorche les oreilles de certains même si c’est les premiers intéressés. Fussent-ils rois ou présidents ..
Chut.. Il faut les réveiller doucement et leur expliquer que l’empire colonial c’est fini depuis longtemps et que la francophonie est en perte de vitesse vertigineuse depuis des décennies.
Mêmes d’anciens pays colonisés préfèrent aujourd’hui promouvoir auprès de leurs jeunesses l’anglais à la place du français.
Il faut savoir que la plupart des écoles de journalisme dans le monde arabe (notamment pour l’audio-visuel) forment leurs étudiants en collaboration avec de grandes écoles occidentales, notamment la BBC dont la « marque de fabrique » est aisément décelable chez nombre de stars chez les journalistes arabe des grandes chaînes.
En conséquence, la plupart de ces journalistes sont bilingues, trilingue voir polyglottes.
Quand l’un d’eux présente un journal télévisé par exemple et qu’il a affaire à un nom propre occidental, il a deux choix
– Prononcer correctement le nom en question en usant de ses compétences en matière de langue étrangère
– Prononcer le nom avec les déformations qu’entraînent nécessairement les contraintes propres à la langue arabe (on sait que l’arabe est une langue riche en consonnes et pauvre en voyelles)
– En général, il optent pour la 1ère solution en faisant un effort qui les honore
Ce qui n’est pas encore le cas pour nos compatriotes journalistes avec des « dégâts collatéraux » dont ils sont loin de se rendre compte.
Des noms qui font rire...
Avec une classe de 1ère.
Je lis un passage d’un article de presse où figure le nom d’Emannuel Macron, nouveau président de la République. Je ne sais ce qui m’a pris, mais dans le feu de l’action je décide de prononcer le nom du président à la manière arabe. Cela donne quelque chose comme (je transcrit en phonétique) îmânuîl mâkrûn.
Eclats de rires dans la salle
-ça vous fais rire ?
– oui m’sieur, trop drôle !
– qu’est ce qu’il y a de si drôle ?
– Ben… l’accent
– Ah.. parce que j’ai prononcé le nom du président à la manière arabe ?!
– Ouais c’est ça. Trop rigolo. Vous pouvez nous le refaire s’il vous plaît ?
Je m’exécute volontiers pour en avoir le cœur net.
De nouveau, la classe pliée de rires.
– Si je vous dit : Mohamed (et je prononce exagérément à la française) est ce que cela vous fait rire ?
– Ben non, Mohamed c’est Mohamed.. ça fait rire personne ici.
– Et bien la vraie prononciation c’est Muhammad et moi quand j’entends « Mohamed » à la française cela ne me fait pas rire.
Un élève au fond de la classe lève le doigt (ça existe encore !)
– M’sieur, je suis d’accord avec vous. En plus , c’est le nom du prophète .
Une autre enchaîne :
– M’sieur, parfois on l’appelle Mahomet.
Novembre 2017
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