Rompre avec les démarches traditionnelles
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Quel Arabe parlait-on sous l’empire arabo-musulman?
On ne sait pas vraiment comment parlaient les musulmans dans toutes les contrées « arabisées » de l’empire aux premiers temps de l’Islam. Ce qui es t sûr, c’est que:
L’apprentissage de la graphie arabe et de l’écriture (deux domaines à distinguer) étaient quasi obligatoire, sinon spontanément recherchés par les croyant, lecture et apprentissage du Coran oblige.
La majorité des citoyens de l’empire savait donc écrire et lire (au moins le Coran). Mais l’Islam, dans son fantastique élan de conquête n’a pas rencontré des peuples sans langue, ni histoire propre , ni culture … Au Maghreb, par exemple, le berbère prédominait largement. La langue des romains n’était utilisée que par les occupants eux-mêmes qui ne se mêlaient pas aux populations locales, à l’abri derrières leurs limes (frontières naturelles faites de chaînes de montagne ou de rivières ou lignes virtuelles décidées par les chefs et gardées par les légionnaires…). Il en est de même pour les iraniens (langue perse), les Egyptiens (copte) etc…
Le plus probable est que l’Arabe coranique était déclaré langue « officielle » obligatoire non seulement pour la pratique du culte, mais aussi pour exercer dans l’administration naissante, ou rentrer dans les rangs de l’armée… Les « vrais » arabes, ceux venus d’Arabie ou du Moyens -Orient, parlaient sans doute dans une langue proche de celle du Coran, considérée d’ailleurs comme inimitable!
L’expression « langue proche » n’est pas fortuite, quand on sait qu’en Arabie elle-même, y compris à l’époque du Prophète et de la Révélation, les tribus arabes de la péninsule utilisaient des variantes (pour ne pas dire des dialectes) sensiblement différentes d’une tribu à l’autre et d’une région à l’autre.
Par ailleurs, ces Arabes, venus d’Arabie ou du Moyen-Orient, du fait de leurs origines géographiques, maîtrisant sous une forme ou une autre la langue du Coran et donc au moins partiellement la culture arabe originelle occupaient automatiquement les postes les plus hauts (gouverneurs et subalternes, officiers supérieurs de l’armée, etc… Et ce , par ordre des califes, installés d’abord à Damas en Syrie pour l’empire Omeyyade, puis depuis Baghdad sous l’empire Abbasside qui lui a succédé. Il en fut de même plus tard sous le califat indépendant de Cordoue en Andalousie musulmane: priorité en tout aux arabophones d’origine, alors que la majeure partie de la population était composée de berbères, de juifs parlant l’hébreu, d’Espagnols utilisant les différents idiomes courants à l’époque et même de citoyens venus de France, d’Italie et autres pays d’Europe pour profiter de l’essor des sciences que connaissait l’Espagne musulmane à l’époque.
Peut-on imaginer un seul instant toutes ces populations parler en arabe classique au sein de leurs familles et dans la vie quotidienne?
Résistance des langues locales
Il est aujourd’hui admis que l’Islam – pour des raisons complexes – s’est répandu dans le monde connu à l’époque comme une traînée de poudre… Nous ne citerons que deux raisons essentielles:
– l’Islam des premiers temps de conquête était d’une grande souplesse doctrinaire, accommodant et faisant preuve d’une grande tolérance et respect pour les langues et cultures locales. Y compris les lois régissant les problèmes d’héritage, de partages des terres etc…
- l’adresse, la pédagogie et la patience des Oulémas de l’époque (théologiens officiels, reconnus et souvent nommés par le calife lui-même). A notre avis , ces « missionnaires » ont plus fait pour la propagation rapide de l’Islam et son admission par les populations des territoires conquis, que les conversions obtenu par la force et la contrainte. La preuve en est que la partie de l’Afrique islamisée n’a jamais connu d’invasion militaire, et pourtant l’Islam s’y est installé progressivement de façon pacifique, par adhésion volontaire.
De tout cela, on peut dire que dans le monde arabo-musulman, coexistaient au moins deux langues: celle officielle; l’arabe coranique et le ou les parlers locaux (dont certains sont des langues à part entière). Ce phénomène est toujours d’actualité d’ailleurs, notamment au Maroc et en Algérie où l’arabe dans sa version fusha ou dialectale cohabite (non sans quelques problèmes ) avec le berbère.
On ne peut aborder ce sujet sans parler de la naissance des dialectes arabes, leur évolution et les raisons qui ont permis leur omniprésence dans la vie quotidienne jusqu’à nos jours.
Nous l’avons dit plus haut:l’islam a été rapidement admis, car surtout conciliant. Ce qui n’était pas toujours le cas pour les « classes » dirigeantes qui s’installaient peu à peu, attachées à leur arabité synonyme à la fois de « pureté de race », mais aussi une supposée proximité avec le Prophète lui-même arabe. Une expression courante le dénomme d’ailleurs « ennabiy al-‘arabiy » (le Prophète arabe)! Par ailleurs, comme déjà annoncé, les postes intéressant étaient d’abord accordés aux arabophones d’origine. Pour qu’un berbère par exemple puisse accéder à un grade supérieur dans l’armée, il fallait qu’il « s’arabise sérieusement », ce qui revient à une forme de d’allégeance. La solution fut trouvée finalement. « Musulman, oui, lecteur assidu du Coran connaissant l’écriture arabe, cela va de soi. Mais je garde ma langue maternelle jalousement et j’en fais exclusivement usage dans mes rapports familiaux ou avec mes compatriote en société. » Bien. Mais il fallait bien communiquer avec les autres musulmans arabophones, qu’ils occupent des postes de haut rang ou qu’ils exercent de simple métiers. Une solution éminement fonctionnelles fut adoptée: parler dans un arabe simplifié, quitte à y mélanger un peu de langue maternelle. C’est , à notre sens de la sorte que les dialectes sont nés et se sont développé selon les régions conquises.
Une autre raison, historiquement prouvée, a permis à l’arabe dialectal une véritable expansion au point de devenir -comme c’est le cas aujourd’hui – la langue du peuple, partagée par toutes les communautés non arabophones. Il s’agit de l’invasion des Banu Hilâl, tribus venues du sud de l’Arabie et ayant transité par l’Egypte. Connus pour leur combativité et leur brutalité, ils réussir à s’installer durablement au Maghreb. Et surtout, nombreux sont ceux qui ont contracté mariages avec des femmes berbères. La descendance fut naturellement arabophone ou bilingue, parlant à la fois l’arabe et le berbère.
La langue arabe enseignée comme langue « morte » et réservée à l’écrit
Longtemps, en vérité, l’Arabe classique (dénommé aujourd’hui Arabe littéral ou Arabe littéral moderne à cause des évolutions qu’il a subit surtout depuis au moins la Nahda, Renaissance arabe) a été l’apanage des gouvernants , des classes aisées et des milieux intellectuels. Les oeuvres littéraires, scientifiques , théologiques, historiques etc… étaient tous en arabe littéral. De nos jours encore.. Donc en fait une langue essentiellement confinée à l’écrit. De ce fait, et depuis le Moyen-Âge arabo-musulman, on a toujours donné dans l’enseignement la priorité à la langue écrite au détriment de la pratique de l’oral. La langue écrite? Surtout le Coran, bien sûr et… la grammaire! Celle-ci a pris une telle importance qu’elle était considérée comme une science à part entière. Les grammairiens, surtout ceux ayant atteint une certaine autorité en la matière étaient invités dans la cour des califes ou des rois, des joutes oratoires avec citations du Coran à l’appui étaient organisées et le s »chercheurs » de l’époque financés directement par les plus hautes autorités se faisaient un plaisir pour rivaliser entre eux en cherchant les cas les plus rares et les plus épineux. C’est ainsi que la grammaire arabe classique a atteint un tel degré de sophistication qu’elle en devenait matière redoutable, crainte par les étudiants, voir même détestée!
Les systèmes scolaires arabes, même après les indépendances ont aussi accordé à l’enseignement de la grammaire une importance exagérée. Considérée comme matière incontournable vitale pour la lecture du Coran… Elle était enseignée à comme matière entière, à part, bénéficiant selon les pays de deux à trois heure de cours par semaine, parfois à la suite! Avec comme démarche pédagogique , le recours au Coran pour les exemples ou à la poésie anté ou post islamique. C’est à dire dans une langue que justement les élèves cherchaient à apprendre. C’est dire l’efficacité du procédé quand l’élève ne comprend ni le verset coranique cité en exemple, ni le vers de poésie qui remonte à une époque d’avant la Révélation.
L’essentiel des cours d’Arabe se déroulait aussi sur l’étude de textes (souvent anciens), sans intérêt pour des adolescents, obligés de les apprendre par coeur, comme pour le Coran. Les questions sur le texte sont posées par écrit et les élèves doivent répondre par écrit aussi.
Ce type d’enseignement a longtemps duré et est toujours en cours dans certains pays , hélas. D’autres ont adopté des pédagogies plus modernes, prenant conscience de l’importance de la pratique orale en n’hésitant pas à prendre comme exemple des modèles occidentaux.
Priorité à l’oral
Le relevé des spécificités de la graphie arabe, bien que ne prétendant pas à l’exhaustivité, est absolument nécessaire avant d’élaborer une démarche d’apprentissage de la graphie. Les classifications entreprises laissent déjà entrevoir les choix pédagogiques possibles. Signalons qu’il n’y a pas de recette miracle valable en tout temps et en tout lieu, mais des choix à effectuer selon la nature du public, en vue d’une efficacité maximum. Toutefois, quelques principes doivent présider à l’élaboration d’une stratégie d’apprentissage de la graphie.
La langue étant considérée essentiellement comme moyen de communication, la question de l’oral et de l’écrit se pose inéluctablement. Il n’est pas du tout souhaitable, de recourir – et ce durant de nombreuses séances – de manière substantielle aux supports écrits. Malgré les apparences (l’anglais s’écrit en caractères latins), il ne s’agit pas là d’une particularité de l’arabe (même si, en arabe, il y a aussi une direction d’écriture différente). La pratique de l’oral s’impose d’emblée comme priorité didactique. On peut parler de «bain linguistique» préalable. Une pratique intensive de l’oral permet de préparer l’oreille à la discrimination auditive et sert de levier à l’apprentissage progressif des lettres. Le bagage langagier proposé à l’oral doit bien entendu servir de base au choix des lettres qui seront apprises en premier.
Par quoi commencer ?
Enseigner les lettres dans leur ordre alphabétique traditionnel ne correspond strictement à rien sur le plan pédagogique, bien au contraire, cet ordre ne facilite pas du tout la tâche. Apprendre la graphie en contexte signifie que la programmation des lettres à apprendre doit suivre étroitement les activités orales. Les questions qui se posent sont généralement les mêmes et il convient de se référer aux programmes des classes de 6e (LV1), 4e (LV2) et 2e (LV3) pour y trouver les principes d’un enseignement cohérent. Faut-il commencer par les lettres qui correspondent à des sons répertoriés en Français ? Faut-il au contraire choisir en priorité les lettres correspondant à des phonèmes réputés difficiles ? Quand doit-on introduire les voyelles longues ? Les autres signes doivent-ils couronner l’apprentissage et venir à la fin quand toutes les lettres ont été apprises ou bien peut-on les répartir au fur et à mesure de l’apprentissage ?
Processus d’apprentissage de la graphie
L’apprentissage de la graphie arabe à des débutants peut être un moyen agréable, amusant et qui permet de maîtriser les lettres de façon relativement rapide, surtout quand il s’agit d’élève francophones, habitués aux caractères latins , avec une écriture qui va de droite à gauche, ce qui est généralement le cas aussi pour le tracé des lettres.
Là, il s’agit d’abord de faire admettre par les élèves que d’autres langues ne suivent pas la même orientation et peuvent s’écrire de gauche à droite ou même de haut en bas!
Il s’agit donc de leur faire acquérir de nouveaux réflexes, y compris pour le tracé des lettres où la main doit s’habituer à un mouvement gauche-droite.
Sur le plan pratique, si l’on va trop vite, on surcharge les élèves (surtout les plus jeunes) et on est inefficace, ce qui peut avoir des conséquences désastreuses. Si l’on imprime un rythme trop lent, on suscite la lassitude et les élèves s’ennuient. Il nous semble tout à fait raisonnable de consacrer à l’apprentissage du système graphique, tous publics confondus, un trimestre de travail maximum avec une vigilance particulière pour les collégiens, tout particulièrement en 6e. Il est évident que l’on fera progresser les élèves à l’oral pendant ce temps sans être contraint par leurs acquis à l’écrit. . La fin de l’apprentissage du système graphique ne signifie nullement que l’on en a fini avec l’apprentissage de la lecture et de l’écriture , qui sera poursuivi sur deux années au moins pour ce qui est des bases. Alors que le code est acquis en quelques semaines, on ne devient un vrai lecteur, un vrai rédacteur, qu’après des années d’apprentissage.
Rendre l’apprentissage de la graphie attrayant
C’est un domaine qui demande un sérieux effort d’innovation et d’inventivité. L’apprentissage de la graphie se prête au jeu et les élèves ne demandent qu’à apprendre en s’amusant. Outre les exercices classiques (grilles de mots croisés, de mots cachés, mots avec des lettres manquantes etc.), voici quelques exercices expérimentés en classe et qui donnent des résultats encourageants :
– La lettre déguisée, c’est-à-dire lovée dans un dessin : choisir un dessin simple, dépouillé dans lequel on peut glisser une lettre, de façon presque invisible. Il faut que la lettre épouse parfaitement les contours du dessin. L’élève doit découvrir quelle est la lettre.
– Les mots sans points . Pour faire prendre conscience de l’importance des points, proposer des mots connus, avec des lettres apprises après en avoir supprimé les points. L’élève doit les rétablir, en couleur de préférence.
– La silhouette : proposer une liste de mots connus, proposer en face des silhouettes dans lesquelles les mots peuvent se loger selon leur configuration propre.
– Le miroir : proposer une liste de mots connus, en face et dans le désordre, proposer les mêmes mots écrits en sens inverse ; l’élève doit rattacher chaque mot à son reflet inversé.
عيبر | كتاب |
عانعن | عيون |
باتك | ربيع |
نويع | نعناع |
Une fois la graphie et l’écriture maîtrisées, le plaisir de trouver sa propre stratégie d’écriture (aller vite, être lisible…) et être reconnu par son propre style !
Lettres « orphelines » et système d’« étagement »
Les lettres dites « orphelines » ne s’attachent pas à la lettre qui suit . Ces lettres doivent bénéficier d’un traitement particulier, car là encore, le réflexe ne vient pas automatiquement et il est fréquent de voir des élèves attacher ces lettres aux suivantes ce qui rend le mot absolument illisible. Traditionnellement, elles ne figurent pas dans la nomenclature « officielle » de l’alphabet ; il convient aussi de les traiter avec attention en les faisant figurer en bonne place au cours de l’apprentissage, tant leur présence est importante dans le dispositif d’ensemble de l’écriture arabe.
ا – د – ذ – ر – ز – و
Lettres « capricieuses »
La plupart des lettres ne changent guère d’aspect dans leurs différentes positions (initiale, médiane, finale, isolée) : il ne s’agit au fond que d’une forme de base (la forme médiane) à laquelle s’ajoutent des appendices, en nombre limité. Trois seulement voient leur graphème de base engendrer d’autres graphèmes assez, voire très différents. Il s’agit du ع : ععع , du ك ككك et du ههه ه et posent en outre à certains un problème phonétique. Enfin se pose la question de l’écriture de la hamza et du choix de son support. Cet aspect peut ne pas paraître urgent, il convient néanmoins de le traiter rapidement au moins pour ce qui est de la reconnaissance.
Polices de caractères et « étagement »
Les élèves étant invités très tôt à découvrir des documents authentiques, il est important de les familiariser avec les différentes polices de caractères proposées aujourd’hui dans les logiciels, et surtout avec un phénomène gênant pour les débutants : celui que nous appelons par commodité « étagement », très courant avec beaucoup de graphies. Nous appelons ainsi la superposition de deux voire trois lettres comme dans :
Normalement : محمد
Ce type de graphie induit deux difficultés : – il faut repérer l’ordre des lettres ; – il faut « rendre à chaque lettre ses points ». Lesquels, quand il y en a, sont souvent installés selon des critères esthétiques , donc pas forcément en accompagnement de la lettres à laquelle ils appartiennent.
Ce « style » est utilisé en calligraphie, mis aussi en écriture manuscrite notamment dans le style « Ruq’a » car il permet d’accélérer le rythme d’écriture.
La calligraphie comme moyen de motivation
La calligraphie est un art compliqué qui demande des années de travail, de l’imagination et un matériel spécifique qui n’est pas toujours disponible dans les établissements scolaires.
Il ne s’agit pas ici d’apprendre la calligraphie çà des élèves qui débutent en arabe où l’effort de maîtriser les tracées de base des lettres demande déjà un savoir-faire de la part de l’enseignant et un effort de la part de l’élève. Par ailleurs, la calligraphie , essentiellement décorative ne peut aider à l’apprentissage de l’écriture. Pour « jouer aux artistes, il faut d’abord maîtriser l’alphabet correctement, savoir écrire et lire, surtout que les style d’écriture ou typographie, (comme pour les caractères latins) peuvent varier d’un professeur à l’autre et d’un manuel à l’autre… En Français, le problème ne se pose pas: les manuels sont standardisés du point de vue de la typographie depuis longtemps. En arabe, surtout dans les articles de journaux ou les affiches publicitaires, il arrive encore que l’on utilise des styles d’écriture différents, surtout que les adultes lettrés y sont familiarisés.
Mais on peut utiliser la calligraphie comme moyen pédagogique d’appoint: c’est attrayant, esthétique et les élèves sont surpris et ravi quand l’enseignant(e) « démantèle » le mot ou la phrase, fait découvrir les lettres stylisées et montre que la graphie arabe peut servir à réaliser de véritables oeuvres d’art.