L’Islam est la deuxième religion de France, la langue arabe est controversée
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L’enseignement de la langue arabe en France : une longue histoire
A priori, on pourrait penser que l’enseignement de la langue arabe en France aurait commencé avec la colonisation notamment de l’Afrique du Nord, et se serait poursuivi selon le rythme des différentes vagues de migrations des populations maghrébines durant la période coloniale et après les indépendances…
De fait, l’enseignement de l’Arabe est plus ancien. Il remonte au règne de François 1er. Entre la fin du XVIIIe siècle (avec la fondation de l’Ecole des Langues Orientales en 1795) et le début du XXe siècle (création de l’agrégation d’arabe en 1905, une des plus anciennes, donc). Il se développe alors un réseau d’institutions assurant la formation des « arabisants » dont la France a besoin pour mener à bien sa politique de colonisation aussi bien au Maghreb qu’au Machrek où elle est en concurrence avec la Grande-Bretagne.
Au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, Colbert décide de créer une école d’interprètes qui permettrait de se passer des intermédiaires locaux, les turjumân qui a donné en français le mot « truchement ».
La République crée en 1795 une seconde école, l’école spéciale des langues orientales, dont la mission est d’enseigner les langues orientales vivantes « d’une utilité reconnue pour la politique et le commerce ». Les trois trois premières langues enseignées sont le turc, l’arabe et le persan. Cette école existe toujours sous le nom d’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Dès les origines, la République s’est donc attachée à former des arabisants.
Mais la place importante qu’occupe le Moyen-Orient dans les relations diplomatiques de la France et l’émergence d’une jeune génération éduquée issue de l’immigration maghrébine relancent l’intérêt pour cette langue, qui connaît d’abord un succès certain dans l’enseignement supérieur. L’enseignement de l’Arabe dans le secondaire, d’abord marginal, commence aussi à prendre de l’ampleur, jusqu’aux années 80 où il était encore question de « retour au pays », encouragé et même subventionné par l’Etat !
De fait, au début, l’apprentissage de l’Arabe attirait surtout, comme formation complémentaire, des diplomates, missionnaires et militaires, historiens, chercheurs…
L’immigration durant la période post-indépendance
Contrairement aux prévisions de l’époque, l’indépendance des trois pays principaux du Maghreb n’a pas stoppé les vagues migratoires vers la France, bien au contraire. Notamment pour l’Algérie. Le jeune Etat indépendant signe avec l’ex-puissance coloniale un accord pour envoyer de la main d’œuvre sous contrat, l’état français s’engageant à accueillir cette immigration (nécessaire à une économie en plein essor) avec emploi à la clé et hébergement entre autres… La réalité, on la connaît plus ou moins avec les fameux bidonvilles de Nanterre par exemple, puis après l’indépendance de l’Algérie la création de la fameuse Sonacotra (1963) devant accueillir en priorité les nouveaux immigrants venant de ce pays selon l’accord cité plus haut. De fait, de véritables ghettos « verticaux », mal entretenus, relativement chères pour des travailleurs aux emplois instables… Ces bâtiments avaient été dès le début conçus pour des célibataires (hommes) avec le minimum nécessaire et ne favorisaient guère l’intégration de ces populations à la société d’accueil.
Question enseignement, jusqu’aux années 90, les mentalités, côté autorités française mais aussi côté communautés immigrées étaient au retour, le passage en France n’étant que temporaire, le temps de gagner suffisamment d’argent pour par exemple se faire construire une maison ou ouvrir un commerce.
Il fallait donc que les enfants apprennent l’Arabe. On sait qu’une fois la famille installée en France, sous l’effet de l’école, mais aussi de l’environnement (la télé, les copains…) les enfants finissent par parler surtout français. Même quand la mère ou le père les interpellent en Arabe, ils répondent en Français !
L’enseignement de l’Arabe dans les écoles primaires
La France a donc signé un contrat dans le domaine des échanges éducatifs, surtout avec la Tunisie et le Maroc. Un accord d’échanges appelé Enseignement des Langues et Cultures d’Origine (ELCO). Pour le primaire, les « pays d’origine » devaient envoyer des enseignants pour donner quelques heures d’arabe par semaine aux enfants qui le souhaitait ddans le cadre de ce que l’on a appelé « l’enseignement des langues d’origine ».
Ce système était loin d’emporter l’unanimité des chefs d’établissements et rares étaient les écoles primaires qui proposaient cet enseignement.
Il se trouve en plus que ces pays « pourvoyeurs » d’instituteurs arabisants, n’envoyaient pas toujours les enseignants-fonctionnaires attitrés, mais souvent des candidats à l’immigration « déguisés » qui étaient recrutés sur la base d’un simple examen afin de vérifier leurs connaissances de l’Arabe littéral. Non formés, ils n’avaient donc aucune pédagogie et encore moins celle qui consiste à enseigner l’Arabe à des francophones, c’est-à-dire en tant que « langue étrangère ». Ils utilisaient le plus généralement des manuels produits dans leur pays d’origine totalement inadaptés aux besoins langagiers d’enfants vivant en France.
Il va sans dire que cet enseignement sans programme prédéfini, sans surveillance d’une inspection par exemple, pouvait facilement déraper vers l’enseignement religieux, puisque dans les pays d’origine, l’Islam est déclaré « religion d’état » et que l’instruction civique et religieuse (est obligatoire dans les écoles). A ce propos, une précision importante s’impose : dans les années 60 et même les années 70, ces « instituteurs », s’il leur arrivait d’enseigner le Coran, c’était par pure tradition et non par prosélytisme : le fondamentalisme musulman n’avaient pas encore gagné les esprits et le poids politique acquis dans les années 80/90.
Et cela ne gênait pas les parents, bien au contraire, d’où des effectifs assez importants dans les écoles primaires qui proposaient la matière.
L’enseignement de l’Arabe dans le secondaire
Comme nous l’avons vu plus haut, l’agrégation d’Arabe fut créée en 1905. La langue n’attirait alors que des élites dans l’enseignement supérieur
Le Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES) suivra en 1975. L’introduction de l’enseignement de l’Arabe dans le secondaire en LVI dès la sixième, LV II en quatrième et LV III en seconde, allait au début attirer beaucoup de monde ; les établissements rechignant moins à ouvrir des classes d’Arabe avec des enseignant Français, certifiés ou agrégés, dotés de programmes établis par l’Inspection Générale d’Arabe, applicables obligatoirement sur tout le territoire.
Dans le courant des années 1990, sous l’action conjuguée d’une actualité internationale où le Proche-Orient se taille la part du lion et de la visibilité accrue de la jeune génération de Français issus de l’immigration maghrébine, l’enseignement de l’arabe devient victime de choix idéologiques et de politiques qui créent un sentiment de précarité chez les élèves, étudiants et professeurs et contribue à donner à cette discipline l’image d’une matière « à risque » où les débouchés peuvent s’élargir prodigieusement ou se tarir d’une année à l’autre.
Préjugés et réticences
Une demande plus grande que l’offre
L’engouement pour l’Arabe constaté dans le supérieur ne connaît pas de répercussion dans l’enseignement secondaire dans les mêmes proportions. En effet, les créations de postes sur le terrain ne suivent pas, les chefs d’établissements étant extrêmement réticents à ouvrir des classes d’arabe aussi bien dans les établissements défavorisés où l’on craint que cette langue ne contribue à la ghettoïsation de l’établissement que dans les lycées de centre-ville où l’on craint que l’ouverture de cette option attire dans ce lycée des populations « à problèmes » !
Montée de l’intégrisme islamiste et prolifération des écoles coraniques
Peu sensibles à cette méfiance des chefs d’établissements à l’égard de l’enseignement de l’Arabe, les ministères qui se sont succédés depuis 2002 ont décidé, plutôt que de sensibiliser les chefs d’établissement à cet enjeu, de réduire voire de fermer les concours de recrutement des enseignants d’arabe. En 2004, alors que le ministre de l’Education nationale Luc Ferry proclame la nécessité de diversifier l’enseignement des langues, ses services décident, fait sans précédent depuis la création de l’agrégation et du CAPES, la fermeture des deux concours !
Pendant ce temps, le fondamentalisme islamiste se répand dans les principaux pays du Maghreb. En Algérie de manière claire et visible, puisque un parti ouvertement islamiste, le Front Islamique du Salut (FIS) a vu le jour légalement, dans la foulée de l’ouverture politique au multipartisme décidée par l’ex-président Chadli Bendjedid.
A u fur et à mesure que ce parti gagnait en puissance, drainant de plus en plus de foules, l’état faisait des concessions à la religion dans le système scolaire, la télévision, allant jusqu’à abandonner sa mainmise traditionnelle sur les mosquées et donc le contenu des prêches le vendredi.
Après l’arrêt brutal des élections législatives qui donnaient le FIS largement gagnant, l’éviction du président Chadli, l’armée reprend ouvertement le pouvoir et commence alors la traque des militants islamistes jusqu’à déclencher une guerre civile qui a duré plus de 10 ans..
Durant cette période que l’on a appelé « décennie noire », nombre de cadres et de militants du FIS ont trouvé refuge en France. Un pays qui a toujours mal maîtrisé son immigration, avec des lois de circonstance variant à chaque alternative politique et selon les calculs politiciens des élus locaux et des prétendants au pouvoir. Pour les différents pouvoirs qui se sont succédé, la question de l’immigration (puisque la politique du retour n’était plus de mise et que la plupart des immigrés et leurs enfants avaient acquis la nationalité française) n’était plus qu’une question arithmétique : combien d’électeurs potentiels parmi la communauté immigrée maghrébine ? Comment les séduire et gagner leurs voix ?
Le travail en profondeur des islamistes algériens rejoints par leur coreligionnaires tunisiens et marocains, les responsables politiques n’en avaient cure ou le sous-estimaient gravement.
Traqués en Algérie où ils étaient de plus en plus lâchés par la population qui découvrait avec effarement leur véritable « nature » et leurs exactions, ils trouvaient en France un terrain propice pour continuer leur propagande, auprès d’une population fragilisée par la crise, la montée de l’islamophobie, du racisme et de l’antisémitisme; elle-même à la recherche de repères…
Les nouvelles générations de Français issus de l’immigration ne maîtrisent généralement pas l’Arabe parlé et encore moins l’arabe littéral ou classique, donc la langue du Coran. Ils constituent une proie facile pour les prédateurs islamistes qui les impressionnent par leur connaissance (souvent relative) du Coran et les interprétations qu’ils en donnent, d’inspiration salafiste ou empruntées aux Frères Musulmans d’Egypte. En bref, une « lecture » de l’Islam empruntée à l’orient, radicale et régressive. Mais devant la vacuité de la politique d’immigration aussi bien à l’échelle nationale que municipale, les fondamentalistes gagnent du terrain. Des mosquées et des écoles coraniques « sauvages »commencent à ouvrir dans les cités-ghettos, parfois de simples locaux commerciaux désaffectés et parfois même des sous-sols d’immeubles ou des caves! Pour les fondamentalistes actifs, il est facile de s’auto-proclamer imams, dès lors qu’ils ont réussi leurs opérations de séduction et convaincu leurs auditeurs qu’ils détiennent LA solution à tous leurs maux. Mieux, ils font un véritable travail de sape à l’encontre des établissements publics qui proposent l’enseignement de l’Arabe. Avec cet argument fallacieux: » les enseignants des collèges et lycée sont des fonctionnaires de l’état français. Ce sont des Français, l’état leur interdit d’enseigner la religion surtout l’Islam. Beaucoup ne sont pas musulmans et certains sont carrément contre l’Islam »!
Puis, devant la forte demande, les fondamentalistes meneurs ainsi que les populations gagnées à la cause commence à s’organiser: quêtes auprès des fidèles, démarche auprès des administrations pour l’obtention de terrains de construction pou cession de biens immobiliers pour les transformer « officiellement » en mosquée reconnue… Mais, surtout face à cette vague de « réislamisation » de la communauté immigrée, d’autres acteurs apparaissent. Les richissimes dirigeants d’Arabie Saoudite et les émirats du Golf.
Evidemment, ces généreux mécènes ne finançaient pas sans contre-partie: il fallait enseigner leurs version de l’Islam, c’est à dire la doctrine salafiste, quitte à former des imams à leur solde sur le sol français ou même à leur payer le séjour en Arabie ou aux émirats, selon les donneurs.
Une progression spectaculaire au détriment de l’école publique et laïque
Face à cette progression rapide et inquiétante, des franges d’intellectuels issus de l’immigration, soutenu par des Français musulmans ou non tire la sonnette d’alarme. Ils pensent avoir trouvé la parade: créer des Instituts Islamiques de niveau universitaire pour faire connaître les nombreuses variantes de l’Islam, et enseigner une religion loin de toute tendance théo-politique d’où qu’elle vienne. Ces établissement, directement ou indirectement sous tutelle de l’Etat, devaient également -et surtout – former de vrais imams avec des cours de théologie musulmane, mais aussi la connaissance d’autres disciplines qui peuvent éclairer « le fait coranique » de manière constructive et moderne aussi bien pour eux-mêmes que pour les fidèles qui les consulterons, notamment le jour saint du vendredi. Ils dispenseront évidemment un enseignement dans les écoles coraniques qui toucherait aussi à l’apprentissage de la langue arabe avec des méthodes modernes.
Mais là encore, au sein de cette frange que l’on pourrait qualifier de « progressiste », il se trouve qu’il y a de nombreux courants divergents, des dissensions, des rivalités… Le processus est alors ralenti, avec un ministère de l’Intérieur (qui est aussi responsable des cultes) n’osant pas trop se mêler des querelles internes, tout en étant favorable à l’idée de doter l’Islam de France d’institutions éducatives dignes de ce nom. Résultat, le nombre, d’écoles agrées, parfois sous contrat avec l’Education Nationale comme c’est le cas pour l’enseignement catholique ou les écoles juives, est beaucoup moins important que les écoles « sauvages », non répertoriées, quasi clandestines, qui, en plus de l’enseignement limitée au texte coranique faisaient un réel effort vis à vis des enfants de familles démunies en termes d’aide matériel. Exactement le même procédé utilisé en Algérie pour créer un réseau d’entraide là où l’état se révélait défaillant, emportant ainsi l’adhésion et la sympathie des masse populaires.
Ainsi, ces écoles « parallèles » se remplissaient, pendant que les classes d’Arabe dans les rares établissements qui en avaient accepté l’ouverture subissaient une véritable hémorragie au profit de l’Anglais et de l’Espagnol essentiellement; les enfants sous les conseils de leurs parents préférant aller apprendre le coran à l’école coranique du quartier, où l' »enseignement » était gratuit ou alors moyennant une modique somme .
Des classes d’Arabe étaient peu à peu en sous-effectifs et fermées au final; nombre d’enseignants se retrouvaient en sous-service , obligés d’enseigner autre chose que de l’Arabe ou chargés de tâches sans lien avec leur profession. A tel point qu’il a été question de fermer carrément les concours d’agrégation et de capes! Au final, ces deux concours ont été gardés , mais en proposant un nombre minimum de postes à pourvoir… pour des candidats de plus en plus nombreux…
Mutations de l’offre et de la demande
L’offre s’est donc déplacée vers le privé, sous contrôle ou non de l’état au dépends de l’enseignement public. Cette vérité n’est pas valable pour l’enseignement supérieur où les les universités et grandes écoles qui proposent l’enseignement de l’Arabe généralement au sein d’un département des Langues Orientales ont toujours connu une expansion régulière, notamment après ce que l’on a appelé « les printemps arabes ». En effet, les événements survenus dans presque la totalité des pays arabes en termes de contestations radicales des régimes en place, avec des manifestations impressionnantes, ont fini par déstabiliser nombre de régimes en place, plongeant ces pays dans de profondes crises sur le plan politique mais aussi sur le plan des économies et par conséquent sur les systèmes éducatifs. Les universités (et mêmes les établissements du secondaire) ont connu un afflux massifs d’étudiants surtout originaires du Maghreb, empêchés de poursuivre leurs études au pays. Ces étudiants rejoignaient d’une façon ou d’une autre, et quelque soit la discipline qu’ils avaient choisie, les départements d’Arabe ne serait-ce que pour le choix d’une langue vivante étrangère.
Entre-temps, l’offre et la demande se sont encore déplacées sur un tout autre terrain: celui d’internet où de nombreux sites destinés à l’apprentissage de l’Arabe se sont développés ces derniers temps, grâce à la « démocratisation » de cet outil à l’échelle planétaire. Là encore, les choses ne sont pas encore claires. Il y a des sites vraiment sérieux qui ont fait de l’enseignement de l’Arabe en ligne leur principale activité, en présentant une offre respectable avec visiblement des équipes d’enseignants formés et un matériel pédagogique valable. D’autres sont tout simplement à caractère mercantile, peu regardants sur la qualité de l’enseignement proposé ni sur le sérieux des méthodes utilisées. Il y a aussi, bien sûr des sites à vocation religieuse qui utilise l’alibi de la langue arabe mais leur véritable but est de faire du prosélytisme islamiste. La plupart sont financés par les pays cités plus haut.
Enfin, signalons que la majorité de ces sites visent plutôt une clientèle d’adultes avec en priorité des professionnels en contact avec le monde arabe.
Ceci ne concerne pas les jeunes qui n’ont pas la matière « arabe » dans leurs établissements. Ils peuvent s’inscrire au CNED (Centre National d’Enseignement à Distance), qui fournit un enseignement de qualité conforme aux directives et programmes de l’Education Nationale et délivre en cours d’année des bulletins que les élèves font valider par leur établissement dans la case « langue étrangère ».
M. Boudaakkar
Décembre 2021