Chants et musiques du Maghreb : origines, diversités et évolution

Jan 4, 2022 | Culture arabe, Langues et société, Romans & Essais, Société

 ORIGINALITES ET DIVERSITES MAGHREBINES

Dans l’ensemble du monde dit « arabe », le patrimoine poétique et musicale révèle des genres d’une très grande diversité. Ils diffèrent par leurs origines, rurale ou citadine ; par leurs acteurs, professionnels ou amateurs qui, dans la sphère publique, étaient généralement des hommes. Mais depuis plusieurs décennies, les femmes ont investit le champ musical non en aparté, « entre elles » comme c’était le cas auparavant, mais en devenant chanteuses ou musiciennes professionnelles reconnues comme tel et en se produisant en public. Ces genres diffèrent par leur statut social, religieux ou profane, populaire ou savant ; par leurs couleurs sonores parfois métissées d’influences extérieures, surtout africaine et occidentale. Ils diffèrent par les instruments utilisés, même si la voix joue un rôle essentiel, et par leurs fonctions : musiques de danse, musiques de mariage, musiques de cortège ou bien musiques de transe et de possession, sans oublier les mélopées de labeur et de peine, chants de labour et de semailles ou chants des maçons, chants des bergers.

Mais, les chants et musiques du Maghreb diffèrent sensiblement de ceux du Machrek (à partir de l’Egypte), pour des raisons historiques, géographiques, linguistiques…

  • Le fond originel des chants et musiques maghrébins est essentiellement berbère. Dans « musique », nous y incluons bien sûr les rythmes typiques.
  • A ce fond berbère est venu s’ajouter des influences et des emprunts à l’Afrique du fait du trafic des caravanes et des migrations des populations du nord au sud et du sud vers le nord. Ces influences concernent surtout les rythmes et certaines mélopées.
  • Puis ce fut les apports arabes avec l’arrivée de l’Islam. Mais, il ne s’agit pas de la musique arabe telle qu’elle était pratiquée à l’époque des foutouhât (conquêtes musulmanes) ni de celle que l’on pratique aujourd’hui. Cette influence était essentiellement d’ordre religieux, du fait de l’adhân (appel du muezzin), de la scansion particulière lors de la récitation du Coran, individuellement ou collectivement (il existe plusieurs écoles de tajwîd ) ainsi que des samâ’, chants-prières collectifs à la gloire de Dieu ou du Prophète.
  • L’influence « arabe » à proprement parler, aussi bien en matière de musique que de langue n’est pas venue de l’est, mais du nord, plus exactement de l’Andalousie arabo-musulmane, notamment après la reconquêtes espagnole et le reflux des populations andalouses musulmanes et juives vers le Maghreb.
  • – curieusement, les Ottomans des Régences d’Alger et de Tunis n’ont pas laissé de traces importantes dans la musique maghrébine, même dans la musique dite « citadine » comme on le verra par la suite.
  • – Enfin, un fond occidental qui a commencé avec la colonisation et se poursuit jusqu’à aujourd’hui, avec la mondialisation de la culture.

 La musique « classique » ou arabo-andalouse

Parmi les musiques les plus anciennes dites savantes du monde arabe, il en est une dont l’aventure est particulièrement exceptionnelle puisqu’elle a voyagé de l’Orient vers l’Occident, de Bagdad à Cordoue, puis de l’Andalousie – Al-Andalus – vers les pays du Maghreb. Il s’agit de la nouba, encore appelée musique arabo-andalouse pou « classique ».

De l’Orient Abbasside à l’Andalousie Omeyyade   

 

C’est à Baghdad, à la prestigieuse cour du célèbre calife Hârûn al-Rashîd qu’un jeune esclave persan affranchi, à la fois poète et musicien, se fait remarquer. Son nom est Abu el-Hassan Ali ben Nafi, plus connu sous le nom de Ziryâb.

Alors disciple du maître musical incontesté de Baghdad, Ishaq al-Mawsilli,, il impressionne fortement le calife , à tel point que son maître, al-Mawssilli a eu peur qu’il ne lui prenne sa place de favori auprès du calife. Ishaq al-Mawsilli menace alors Ziryâb qui est contraint de fuir très loin de Baghdad et c’est ainsi qu’il arrive à Cordoue vers 825. Il est reçu à la cour des souverains omeyyades, et, grâce à leur appui, il ouvre un conservatoire de musique et peut se consacrer à son art.

Si la musique arabo-andalouse est fille de l’Espagne musulmane, elle doit son essor à Ziryâb qui va structurer la musique de son maître en mouvements et en suites : les vingt-quatre noubas (1) dont les modes sont décalqués sur les heures du jour et les signes du zodiaque. Transmises oralement par les maîtres à leurs disciples, plusieurs de ces noubas tomberont au cours des siècles dans l’oubli, faute d’avoir été enseignées.

A partir de ce socle, la musique andalouse va évoluer sans cesse en intégrant des influences notamment espagnoles, de chants liturgiques chrétiens et gitans.

Le Maghreb, principal héritier de la musique arabo-andalouse

1492 marque la fin de l’âge d’or andalou et la chute du royaume de Grenade, ultime bastion de l’islam dans la péninsule ibérique. Expulsés, les musulmans trouvent accueil au Maghreb, en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Ils emportent avec eux cette savante et belle musique que les célèbres musicologues français Jules Rouanet, Rodolphe d’Erlanger et Alexis Chottin vont appeler, faute de mieux, arabo-andalouse, et qui prend toute son ampleur à travers la structure gigogne de la nouba.

Chaque nouba (il en existe onze au Maroc, quinze en Algérie, treize en Tunisie ) est une longue suite musicale articulée autour de cinq phases, chacune d’elles étant composée de chants et de pièces instrumentales interprétés sur un même mode – tab’ – mais sur des rythmes – mîzân – qui varient d’une phase à l’autre. Art de cour, complexe, avec ses constructions multiples et emboîtées, avec ses parties vocales – san’a– auxquelles répondent les instruments dans une sorte de reprise, elle comprend aussi des chants en solo, l’inshâd, chant libre, non mesuré, basé sur une mélodie et un nombre donné de vers poétiques, et qui sert de prélude à un nouveau rythme ou d’interlude entre deux rythmes consécutifs ou entre deux parties vocales d’un même rythme.

Rythmes de transe et musiques de possession 

Ce type de rythmes et de musiques ont à l’origine des motivations religieuses et mystiques dérivées du soufisme. Ce genre, très spécial, s’est développé surtout dans le sud marocain et le sud-ouest algérien.

Le soufisme est essentiellement basé sur une grande exigence mystique et l’expérience de la Voie exige beaucoup d’humilité, d’altruisme et de sincérité. C’est la raison pour laquelle il est parfois déconcertant de découvrir le soufisme à travers les pratiques spectaculaires de chants et de « danses » (mouvements typiques du corps et gestuelle) des confréries marocaines les plus célèbres comme les Aïssawa, les Hmadchcha, les Jilala , où se mêlent coutumes ancestrales et tribales, ferveurs populaires et superstitions, exagérations exutoire et collectives, transes et états seconds proches de l’autosuggestion et permettant de braver la douleur. C’est la raison essentielle pour laquelle les Oulémas (théologiens) orthodoxes, déjà hostiles au soufisme dans son ensemble, prononcent des jugements très sévères ainsi que le malaise de certains témoins oculaires décrivant les rituels des Aïssawa ou des Hmadchcha.

Voici ce qu’en dit Paul Bowles, avec sans doute son regard d’occidental fasciné. « Les supplices que l’on s’inflige, l’entrée en transe, l’épreuve par le feu et l’épée, l’absorption de verre brisé et de scorpions ne sont pas rares en de pareilles occasions. Le voyageur qui a assisté à l’un de ces rassemblements indescriptibles ne l’oubliera jamais, même si, détestant la vue du sang et de la souffrance physique, il essaie de toutes ses forces d’en chasser le souvenir. Pour moi, ces spectacles sont empreints d’une grande beauté car leur but évident est de prouver le pouvoir de l’esprit sur la chair. »

Chants et danses « gnawi »

Les Gnawa (2) se livrent à des exercices qui rappellent ceux des Aïssawa, des Hmadchcha et des Jilala. Ils poussent cependant le rituel plus loin avec l’emploi des braises ou des herbes enflammées, des fers rougis au feu, des aiguilles avec lesquelles ils se transpercent les joues. Les Gnawa sont en fait une confrérie à part. D’abord, les Gnawa ils ne suivent pas la voie du soufisme ; ensuite, leurs ancêtres viennent d’Afrique noire, notamment de l’ancien Soudan Occidental. Leur musique se distingue également de celle des autres confréries: pulsations des tambours, bourdonnements des guenbri (luth à trois cordes ayant plutôt un son de basse) et chants répétitifs poussant à l’extase… La musique des Gnawa fascinera plus tard le monde du jazz et du rock. Autre particularité des Gnawa : les femmes jouent un rôle important. Celles qui sont voyantes gèrent en effet les rites de possession dans leurs dimensions initiatiques et thérapeutiques.

  La musique bédouine dite ‘aroubi ou sahraouie

 Au Maroc

Au Maroc, le groupe ‘Adibât R’ma, dont tous les membres sont originaire du Haouz, une région de Marrakech où vivent des tribus bédouines aujourd’hui sédentarisées est très connu et apprécié. Le style musical des ‘Adibât R’ma c’est le Bédouin avec sa véhémence et sa rudesse virile, ses gestes guerriers et ses violences simulées et soudaines : on l’imagine en train de chevaucher un pur-sang arabe, tandis qu’un chant de victoire rappelle les hauts faits de sa tribu.

La ‘aïta (vocifération ou cri) est un appel lancé pour annoncer une nouvelle importante. La ‘aïta est une poésie lyrique dialectale et bédouine, elle est tout à la fois l’expression d’un sentiment d’appartenance, un cri de ralliement, un soupir d’amour et une complainte

Al-guedra : danse bédouine. Il est un chant bédouin qui exprime fort bien les façons d’être de ces hommes bleus  allant de puits en puits, d’étapes en étapes, à la recherche de pâturages. Jusque dans les années 30, Goulimine était l’un des plus importants marchés aux chameaux de tout le Sahara. Située sur la route des caravanes, celle qui, à travers le désert, conduisait vers l’Afrique noire, la ville était le point de ralliement des tribus nomades. De nos jours encore, même si Goulimine n’est plus un grand centre caravanier ni un marché aussi prestigieux, subsiste cette danse bédouine particulièrement belle et sensuelle : al-guedra. Une femme mystérieuse et voilée, repliée sur elle-même, entre progressivement dans la danse sur le rythme lancinant d’un tambour soutenu par des battement de mains. Tandis que les voix gutturales et fortes retentissent comme des cris, la danseuse devient pulsation : ses doigts, sa tête, son buste, expriment cette longue vibration qui l’entraîne dans une sorte d’extase où elle s’offre aux regards des autres en se dévoilant peu à peu avant de s’écrouler, épuisée.

Musiques et danses Amazighes

Le Maroc, pays arabo-berbère, est riche d’un patrimoine musical très varié. La musique arabe occupe environ 70 % du panorama musical marocain et est divisée en plusieurs tendances:

– le classique arabe,

– le moderne arabe,

– le traditionnel al melhoun,

– le chaabi et le classique andalous.

Les médias publics favorisent ces genres de musique et leur continuité est assurée par les conservatoires de musique du royaume. Les années 1970 ont aussi vu l’émergence de la chanson arabe engagée sous la forme de groupes comme Jil Jilala, Nass el ghiwane et Lemchaheb. Les années 1980 ont vu l’arrivée du style Rai algérien, né dans la région oranaise, chanté depuis longtemps de façon traditionnelle et avec des instruments anciens, puis modernisé sur le plan du chant, des rythmes et des instruments occidentaux en complément des instruments traditionnels.

La musique amazighe, qui est répandue seulement dans les régions berbères, est divisée en trois grands groupes suivant les régions (et donc les variantes dialectales régionales).

Au nord, on trouve la musique du Rif avec des rythmes qui lui sont propres, des chants individuels et collectifs. Les danses s’inspirent des combats le combat, l’attachement à la terre natale et la grandeur de communauté Amazighe au centre, la musique du Moyen-Atlas : Elle comporte des formes chantées aux rythmes et mélodies caractéristiques. La technique vocale est également spécifique.

Au sud, la musique du Souss dans l’Anti-Atlas, avec notamment la musique tachelhit (3) et l’Ahidouss.

Ces musiques amazighes sont également divisées entre « moderne » et « traditionnelle ». La rythmique des chansons, des chants et des danses festives marque le temps et les actes de la vie en commun.

Les hommes et femmes membres de groupes musicaux revêtent leurs habits traditionnels qui se transmettent de génération en génération. La rythmique constitue la base fondamentale de cette musique. La danse accompagne toujours les chants.

En Algérie

Le chant bédouin du sud-centre et sud-centre-est algérien est appelé communément chant saharien, ou plus spécifiquement «aï-yaï», ainsi dénommé par la formule répétitive par laquelle sont scandées toutes les chansons du genre et qui exprime la mélancolie propre, musicalement et poétiquement, à la chanson bédouine.

Ce genre musical est injustement négligé et considéré trop souvent comme mineur malgré toute sa richesse et la qualité de ses talentueux interprètes. Malgré cela la chanson aï-yaï demeure un gage de fidélité à la tradition que l’on exhibe de temps à autre, l’espace d’une manifestation officielle, mais que l’on maintient soigneusement confiné, pour l’essentiel, au rang de folklore, avec tout ce que cela implique comme connotations péjoratives, notamment par les citadins ayant tendance à mépriser le monde rural et bédouin en général.

Certains spécialistes pensent qu’en melhoun, le poème est composé pour être chanté, non pour être récité. En effet, la déclamation est inconnue chez les bédouins, et composer un poème, c’est instinctivement penser au chant. Le texte est certes écrit indépendamment d’un processus musical, mais le poète projette immédiatement le poème dans une structure musicale dès le premier vers qui sert d’ailleurs souvent de titre à la chanson.

Fondé donc autant sur le texte poétique que sur la musique, le genre aï-yaï renvoie, dans cette indistinction même, au mode de vie nomade qu’il exprime.

Aussi bien par les textes que par la musique, le aï-yaï exprime le mode de vie nomade des bédouins de l’atlas saharien, continuellement en voyage entre steppe et oasis. Les textes des poètes contiennent presque toujours une partie consacrée au « parcours » et souvent, chez chaque poète, un texte au moins décrit un itinéraire. Ces poèmes sont d’ailleurs souvent l’occasion de chanter une manière d’exil et de nostalgie des espaces sahariens glorifiés par rapport au nord, le Tell.

 En Tunisie

La Tunisie, de par sa situation géographique a été un lieu où, au cours des siècles, se sont croisées, superposées et parfois fondues différentes sortes de cultures et donc de musiques. Celles des nomades berbères, des Phéniciens, des Romains, des Byzantins, des conquérants arabes venus de l’Orient, puis des réfugiés arabes d’Andalousie, plus tard des envahisseurs turcs, et bien entendu, l’influence de l’Afrique noire dans le sud du pays.

 

La musique ancienne classique, qui peut être à la fois  » savante  » et populaire, domine largement dans les médias audio-visuels. Le lancinant et nostalgique malouf, d’origine andalouse, est apprécié, partagé par l’ensemble de la population, et au-delà de la Tunisie et par de nombreuses couches de populations citadines dans l’ensemble du Maghreb. Il s’agit, à  l’unisson, de chants et de motifs instrumentaux aux mélodies et aux rythmes subtils qui s’enchaînent alternativement sans interruption.   

La musique dite folklorique, plus courante en milieu rural, c’est bien sûr la musique qui est jouée dans les diverses fêtes locales (mariage, naissance, circoncision, fêtes religieuses, etc.)  par des ensembles professionnels ou amateurs. Composée principalement d’instruments à vent tels le zokra à anche double ou la cornemuse, appelée mezoued, la zorna (instrument à vent à anche double de la grande famille des hautbois), la gasba (longue flûte sans bec) et d’instruments de percussion : tabla (gros tambour à baguettes), bendir (tambour plat joué avec les mains), darbouka, etc. Une musique qui varie notablement suivant les régions : on ne saurait confondre celle des environs de Bizerte avec celle du Kef, et encore moins avec celle des oasis sahariennes.

MUSIQUES CITADINES SAVANTES ET POPULAIRES

La musique citadine dite ‘asri (moderne) a été très tôt prise en charge par les médias audiovisuels, surtout par la propagation et la « démocratisation » du disque. Elle a donné naissance à un répertoire musical extrêmement riche et varié.

En effet, on y distingue divers genres dont les principaux sont :

  • Les musiques dites savantes ou classiques quand il s’agit de la musique arabo-andalouse dont ont hérité les trois principaux pays du Maghreb : Maroc, Algérie et Tunisie. On verra qu’en Algérie, cette musique a donné lieu à un dérivé, le « chaabi ».
  • Populaires et modernes quand il s’agit de musiques traditionnelles mêlant à leurs propres sensibilités des couleurs sonores venant d’autres pays arabes, notamment l’Egypte qui va avoir une influence durable sur les sensibilités musicales du monde arabe ; ou venant d’autres cultures comme celle de l’Occident avec ses instruments différents et ses expressions musicales ; ou encore venant du répertoire traditionnel qui est alors considérablement revisité comme c’est le cas pour le Raï, parti de l’Ouest algérien et ayant dépassé largement les frontières du Maghreb.

Musique citadine marocaine

le malhûn

Cette nouvelle littérature chantée qu’est le malhûn fait intervenir trois acteurs et est destinée à un public populaire, exclusivement masculin, celui des corporations de métiers. Cette expression poétique est conçue pour être écoutée et non pour être lue. Le malhûn ignore la syntaxe régulière propre à l’arabe classique et ses déclinaisons. Utilisant la langue du peuple, celle des différents dialectes comme des mots d’origine étrangère, sa poésie n’est pas mesurée à l’antique, mais rythmée sur le nombre des syllabes et l’accentuation des mots.

Le dernier couplet est à la fois la signature du poète et l’affirmation de sa personnalité. Il confie au chanteur, le « passeur », la charge de faire connaître son œuvre, et insiste sur son propre mérite. Une sorte d’auto-promotion au rang des poètes reconnus. Parmi les chanteurs du vingtième siècle les plus remarquables ou les plus remarqués, il convient de citer el Hadj Houcine Toulali, décédé en décembre 1998 à l’âge de 74 ans.

La daqqua de Marrakech

A Marrakech, la daqqa ou « tambourinage » connaît son heure de gloire les semaines précédant la ‘Achoura. Tous les hommes, des plus jeunes aux plus âgés, s’entraînent et rentrent en compétition par rues et par quartiers afin de pouvoir participer à cette musique collective et masculine de percussions polyrythmiques.

A côté des expressions formelles ou collectives que sont le malhûn et la daqqa, il existe de multiples manifestations individuelles de la musique populaire traditionnelle, comme par exemple les berceuses, mrâria, et les plaintes modulées des aveugles de Marrakech… On trouve aussi sur les places publiques ou au pied des remparts, les chanteurs saltimbanques. Entre un sketch acrobatique et un tour de passe-passe, leur guembri (5) à la main ces amuseurs publics se lancent dans une chanson « des rues et des bois », la qacîda, sorte de « journal » oral rythmé dans lequel sont commentés les événements du jour.

A côté de la musique traditionnelle, populaire ou savante, apparaissent de nouvelles tendances musicales qui s’inspirent du répertoire marocain tout en empruntant des chemins de traverse dus aux influences étrangères : celle de l’Orient d’abord, notamment celle de la diva Oum Kalthoum et celle de l’Occident ensuite. Certains chanteurs de cette mouvance comme Abdelhadi Belkhayat et Doukkali on connu un succès qui a largement dépassé les frontières du Maghreb.

Le « phénomène Nas al Ghiwane

Le groups, Nass el Ghiwane, devenu mythique, connaît sa gloire dans les années. La jeunesse marocaine découvre un groupe proche de ses problèmes et de ses attentes, qui mêle tradition et modernité, qui propose des textes engagés ou poétiques. Dès lors, le phénomène Ghiwâne va donner naissance à un nouveau courant musical populaire, très éloigné de la variété égyptienn qui qui envahissaient les ondes non seulement au Maroc, mais dans l’ensemble du monde arabe. Avec des textes frondeurs, impitoyables pour l’idéologie dominante,  ils font revivre la poésie, les proverbes et les dictons populaires, avec des mots réactualisés et chantés en arabe dialectal accessible à tous. ». Ils furent suivis, imités par de nombreux autres groupes, dont celui qui allait devenir leur concurrent : le groupe Jil Jilala.

Musique algérienne

L’Algérie située au centre du Maghreb a connu toutes les influences musicales venues de l’extérieur en plus de son propre patrimoine historique. La musique algérienne se distingue par la diversité des genres musicaux et par son riche répertoire. La musique classique arabophone est la musique arabo-andalouse, très appréciée dans les grandes villes du pays, notamment chez les catégories aisées et cultivées. elle a donné trois formes : le Gharnati,à Tlemcen, la Sanna à Alger, et le malouf à Constantine. D’autres styles musicaux citadins moins « savants » existent à côté comme le hawzi, le mahjouz et le Chaabi

La musique Raï est originaire de l’Ouest algérien (région oranaise), tandis que la musique Staïfi est apparue dans l’Est du pays. Son nom est dérivé de celui de la ville de Sétif. La musique contemporaine d’expression berbère a principalement émergé en Kabylie.

Le patrimoine musical algérien, est profondément marqué par un fonds culturel maghrébin commun, mais beaucoup d’indices montrent que ce patrimoine s’inscrit dans un espace géographique plus vaste, celui de la méditerranée. En raison d’une histoire commune, d’une similitude entre les structures sociales et des migrations de populations, les influences ont été largement partagées ; cela est très nettement perceptible dans la musique arabo-andalouse.

Au cours de la période coloniale, le répertoire populaire évolue et se modernise au contact des apports coloniaux, dont les formes les plus exogènes donneront la chanson en sabir (mélange de plusieurs langues), puis la chanson « francarabe », surtout courante dans les milieux dits « pieds-noirs ». Ces chansons légères, renouvellent les thématiques et s’inspirent du quotidien colonial et au contact des cultures locales, d’où le mélange des paroles en Français et en Arabe dialectal. Puis, l’émergence d’un « théâtre arabe » et le développement de la radio, devenue accessible même aux « autochtones » finissent par populariser largement ces nouveaux genres modernes.

Mais le genre citadin qui incontestablement marqué des générations entières et reste toujours pratiqué et apprécié est le « chaabi », né à Alger. Le mot chaabi signifie populaire et à notre sens ne convient pas tout à fait à ce genre très spécial. De fait, le chaabi est une sorte de vulgarisation ou de simplification de la musique savante arabo-andalouse. Mâtiné de hawzi, il est chanté en Arabe dialectal avec des textes de poètes ou de paroliers érudits et connus.

Le milieu ouvrier constituait le terreau de la chanson « populaire », qui deviendra plus tard nationaliste et qu’animaient des artistes de renom tel Hadj Missoum qui a été la plaque tournante de ce genre, ainsi que Dahmane el Harrachi, Hsissen et bien d’autres qui étaient très écoutés au sein de l’immigration, notamment.

Mais le maître incontesté du genre reste incontestablement El Hadj M’hammed el Anka dont beaucoup même qu’il en est le fondateur. El Anka est devenu pratiquement une icône, adulé par la foules ; il a formé des générations de musiciens et de jeunes chanteurs qui lui ont emboîté le pas. Sourcilleux sur les règles qu’il avait lui-même édictées et enseignées, il ne supportait aucune innovation, aucune fantaisie… La chanson chaabi n’a pu se moderniser (d’abord timidement) que longtemps après la disparition du grand maître Pour faire une pause, sa fameuse chanson « soubhân Allah yâ ltîf » reprise (beaucoup plus tard) par des chanteuses qui tenaient à lui rendre hommage.

 

Au milieu des années 80, se développent des genres régionaux chantés dans les variétés dialectales qui modernisent les traditions musicales locales : le Raï, la chanson kabyle, les chants Chaouis des Aurès et le Staïfi. Ces genres, de fait ce confondent peu à peu avec la contestation liée à la vague d’agitation chez la jeunesse surtout, notamment le raï et la chanson kabyle.

Peu à peu, le chant contestataire gagne aussi les autres genres. L’Algérie des années 80 et 90 connaissant une forte période de déstabilisation du régime et des troubles graves qui ont mené le pays à une guerre civile de plus d’une décennie ! Le chaabi lui-même abandonne chez certains les thèmes classiques pour proposer des textes très critiques sur la situation du pays et les inégalités qui se creusent, comme par exemple le chanteur Kamel Messaoudi, d’autres, comme des électrons libres, puisent dans tous les répertoires pour composer des chansons politico-satiriques, n’hésitant pas à moquer le président Bouteflika lui-même ou des membres du gouvernement, tel le chanteur Baaziz.

Le Raï

Le mot raï possède en arabe plusieurs significations : « façon de voir », « opinion », « point de vue », « conseil », voire « objectif », « plan », « pensée », « jugement », « volonté », « libre choix », « conscience morale ». Genre très ancien, largement répandu dans l’Ouest algérien, notamment la région oranaise, ce nom viendrait de l’époque où les cheikh (maîtres), les poètes de tradition melhoun prodiguaient sagesse et conseils sous forme de poésies chantées en darija (dialectal).

Une autre explication au nom donné à cette musique d’improvisation est l’interjection Ya raï , formée du vocatif yâ et du mot raï, suivi souvent par le suffixe i : yâ râyî (ô ma conscience, ô mon opinion…). Le poète, relié par le chanteur expose ses problème et invoque -implore plutôt – l’opinion de son auditoire ou sollicite le sien propre, pour savoir quoi faire.

Dans les années 1920, les maîtres et maîtresses du melhoun traditionnel de l’Ouest algérien dont la célébrissime Cheikha Remitti, considérée comme la « mère du Raï », représentent la culture guerrière traditionnelle. Leur répertoire est double. Le registre officiel célèbre la religion, l’amour et les valeurs morales lors des fêtes des saints des tribus, les mariages ou les circoncisions. Le registre irrévérencieux (une échappatoire aux rigueurs de la morale islamique) est interdit et chanté essentiellement dans les souks, les tavernes et surtout dans des cercles privés, organisés par des amateurs aisés, parfois de hauts responsables de l’Etat, ceux-là mêmes qui interdisaient la chanson raï à la radio ou à la télé ! Danseuses et musiciens ambulants y parlent de l’alcool et des plaisirs de la chair. Ces deux formes sont à l’origine du raï moderne.

 

On connaît le Raï dans sa version moderne portée par les Cheb (jeunes, par opposition à Cheikh, mot polysémique en algérien signifiant à la fois maître, professeur… mais surtout « vieux »), terme choisi intentionnellement par la nouvelle vague de jeunes chanteurs, pour se démarquer à la fois par rapport aux « anciens », mais pour mieux insister sur la révolution musicale qu’ils apportaient par rapport au raï traditionnel très marqué par une coloration rurale, voire bédouine…Ces jeunes finiront par faire des émules dans tous le Maghreb mais aussi à l’internationaliser.

Lorsque la vague du Raï moderne a déferlé en France et à l’échelle internationale, beaucoup d’observateurs et de spécialistes de la world music y ont vu l’expression d’un vaste mouvement de contestation, l’Algérie traversant alors une période de grandes perturbations politiques. Certains sont allés jusqu’à considérer le raï comme un genre contestataire. De fait, le seul aspect « contestataire » du nouveau Raï, résidait essentiellement dans l’expression-dépassement des tabous, de manière crue à la place des habituelles allusions,clins d’oeuil et autres astuces langagières… Au final, il existe très peu de chansons raï ouvertement politiques, même chez les Cheb qui ont fait une carrière internationale. Reconnu internationalement, le pouvoir ne pouvait que lever l’interdit qui frappait le genre, surtout que, comme nous l’avons dit, le Raï est resté majoritairement apolitique.

Musique citadine tunisienne

Sur le plan musical, la Tunisie est réputée pour son répertoire classique arabo-andalou, le malouf, importé de l’andalousie musulmane. Après la reconquête, les musiciens juifs et musulmans fuient et se replient vers les pays du Maghreb. Le malouf, musique de tradition orale qui se métisse d’élément berbères, turcs ou persan .

Au début du XXème siècle, il y eut une grande initiative de lettrés, de musiciens et de mécènes pour fonder une institution réputée dans le monde arabe : la Rachidia. C’est dans ce cadre que sont transcrites et enregistrées pour la première fois les plus grandes noubas, sortes d’œuvres complètes répertoriées par modes ou maqâm, qui servent de charpente, codifiées de façon précise avec des suites de rythmes et de genres poétiques appris et connus des spécialistes de l’époque. L’interprète est le personnage le plus important du trio compositeur-poète-interprète à l’origine des compositions le plus souvent anonymes. Ces interprètes, souvent aussi compositeurs, sont rassemblés au sein de La Rachidia dans un immense travail d’archivation des très nombreuses tendances de la musique classique tunisienne.

Le répertoire du malouf tunisien se retrouve de l’autre côté de la frontière dans l’Est algérien, notamment à Constantine avec des variantes locales et des maîtres connus.

 

M. Boudaakkar. Janvier 2022

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  • Ce mot signifie tour de rôle. La durée d’une nouba peut dépasser les huit heures, ce qui rend son exécution intégrale impossible.
  • Le Gnaoua désigne à la fois un style musical du Maroc et du sud-ouest algérien et les membres d’origine d’Afrique subsaharienne, principalement des descendants d’esclaves, rassemblés dans des confréries musulmanes mystiques dans lesquelles la transe joue un rôle très important.
  • Du nom des tribus berbères Chleuh.
  • Achoura ( عَاشُورَاء, ʿāšūrāʾ), est le nom d’un événement religieux qui a lieu le 10e jour de Mouharram, le premier mois de l’année dans le calendrier musulman. Il est fêté aussi bien par les sunnites que les chiites.
  • Le guembri est un instrument de muisique à cordes pincées des Gnawa (desecendants d’esclaves venus de Guinée). On le trouve principalement au Maroc, en Algérie, en Tunisie utilisé dans la musique Stambali.

 

 

 

 

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