De l’Afghanistan au Sahel, en passant par l’Egypte, l’Algérie, l’Irak, et la Syrie (2)
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Par Mahfoud Boudaakkar
L’islamisme radical se développe désormais du Moyen-Orient à l’Afrique de l’Ouest, en passant par le Sahel et le Maghreb ; il nourrit « spirituellement » le terrorisme djihadiste et le finance.
L‘islamisme, a fortiori radical, n’est pas l’Islam. Celui-ci est une des grandes religions de l’Humanité, fondée, comme le Judaïsme et le Christianisme, sur le monothéisme. L‘islamisme est un dévoiement, un détournement de la religion à des fins politiques.
La radicalisation « islamiste » des sociétés du Machrek, du Maghreb et désormais du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest est désormais passée du stade du prosélytisme et de la propagande (aussi bien contre les « impies locaux » exerçant le pouvoir en trahissant l’Islam que contre les chrétiens, les juifs, les boudhistes et autres mécréants) aux actes, consistant à créer des « Etats islamiques » partout où cela devenait possible. Par tous les moyens y compris la violence armée.
Plusieurs auteurs situent l’émergence de « l‘islamisme politique » dans le monde musulman autour des années 1970. Du Maghreb à l’Égypte, à la Turquie, à l’Asie du Sud et du Sud-Est, la montée de l’islamisme radical s’exerce dans un contexte de déclin du nationalisme arabe et de montée en puissance de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe dont le Qatar. Différents facteurs ont favorisé cette montée en puissance : rôle de l’immigration depuis différentes parties du monde musulman vers le Golfe, développement du système bancaire islamique, prolifération des fondations saoudiennes de bienfaisance (qui sont en même temps des officines de prosélytisme et de propagande politique), développement de lieux de formation fondamentalistes…. Bénéficiant de la montée des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite et les émirats du Golfe investissent autant dans la montée du radicalisme islamiste d’inspiration wahhabite que dans le monde des affaires, tous secteurs confondus, sans que cela leur pose le moindre problème de conscience.
L’Afghanistan: premier « laboratoire » pour l’expérimentation du fondamentalisme wahhabite.
Depuis plus de 40 années, l’Afghanistan a connu des conflits qui ont profondément impacté la société civile afghane, ruiné l’économie déjà mal en point et empreint la structure du pays du sceau des violences. Au rythme des coups d’état, des différents régimes et de l’influence internationale, l’Afghanistan n’en finit pas d’être secoué par de multiples crises. A tel point, qu’aujourd’hui, ni les principaux concernés : « gouvernement » sous tutelle américaine et talibans fondamentalistes adeptes d’un état islamique n’arrivent ni à prendre le dessus pour exercer réellement le pouvoir, ni à s’entendre pour le partager d’une manière ou d’une autre afin de redonner au pays la stabilité tant souhaitée par les populations et lui permettre d’amorcer un développement qui lui permette de renter à nouveau dans le concert des nations.
Dès 1978, le pays a payé le prix de la guerre froide : l’URSS et les Etats-Unis se sont affrontés en terre afghane pendant plus de dix ans. La guerre civile qui a suivi a permis aux Talibans d’arriver au pouvoir en 1996, et la guerre conduite par les Etats-Unis en 2001 n’a fait qu’entériner et aggraver la déstabilisation profonde du pays.
La population civile paye le prix fort de ces rivalités entre puissances depuis plusieurs générations. L’immense majorité des Afghans (34 millions d’habitants) n’ont pas connu depuis, la paix dans leur pays. Le résultat de cette guerre civile se traduit par une extrême pauvreté (près de 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté), mais également par un accès très difficile aux services de base, à l’emploi et à la sécurité. En raison des conflits, il y a aujourd’hui environ un million de personnes déplacées dans le pays, et on estime que des milliers de personnes fuient leur foyer chaque jour.
Qui sont les Talibans ?
Les talibans (طالبان [ṭāliban], « étudiants » sont un mouvement fondamentaliste islamiste qui s’est répandu en Afghanisten et au Pakistan à partir de 1994. Le mouvement a réussi à instaurer un Emirat Islamique d’Afghanistean.
L’organisation a été placée sur la liste officielle des organisations terroristes des Etats-Unis, de la Russie, du Canada, du Kazakhstan et des Emirats Arabes Unis.
Cependant, les talibans n’appartiennent pas tous à une même organisation. Il existe en effet de nombreuses mouvances, plus ou moins liées, qui ne mènent pas toujours le même combat. Vaste nébuleuse de Pachtouns afghans, de Pakistanais et d’Arabes venus du Golfe.
On distingue toutefois les talibans « afghans » se battant contre le pouvoir installé par les forces internationales et nationales en Afghanistan et les Talibans pakistanais opposés aux autorités pakistanaises notamment dans le Nord-Ouest du Pakistan. Ces dernières utilisent le territoire afghan et la logistique de leurs « frères de combats » comme base arrière pour lutter aussi -et surtout – contre le régime d’Islamabad.
A l’origine du mouvement
L’Union Soviétique ayant décidé d’envahir l’Afghanistan, des millions de jeunes Afghans prennent les armes pour défendre leur pays contre les « impies » communistes. Ils sont fortement influencés par le wahhabisme venu d’Arabie Saoudite, bien que répartis dans des « écoles de pensée » différentes adaptant l’idéologie wahhabiste selon les besoins et les circonstances.
Les talibans sont en quelque sorte des « néo-fondamentalistes ». Ils veulent d’abord réislamiser les mœurs, la justice, les êtres humains. La forme de l’État n’a pas d’importance pour eux à la condition de respecter la loi divine. Et seuls ceux qui ont étudié, c’est-à-dire les talibans, sont à même d’expliquer ce que devrait être le nouvel ordre et d’en assurer le respect.
C’est pour cela qu’ils déclarent dans leurs premières années qu’ils ne veulent pas le pouvoir politique. C’est aussi pour cela qu’ils attachent tant d’importance à tout ce qui touche à la vie quotidienne, publique ou privée.
Au début des années 80, les Etats-Unis apportèrent un soutien logistique important aux Afghans, engagés dans une guerre terrible contre l’Union soviétique.
Washington décide alors de financer, avec le concours de l’Arabie Saoudite et du Pakistan les talibans, avec deux objectifs en tête. La priorité est d’éradiquer les autres mouvements islamistes présents en Afghanistan et d’instaurer ensuite un régime politique rigoriste et stable, à l’image de celui de l’Arabie Saoudite.
De 1994 à fin 1997, les talibans profitent aussi d’un soutien moral, sinon financier et militaire, de la part des services secrets pakistanais, dans une relative indifférence internationale.
Mais le financement des talibans s’explique également par un intérêt pétrolier soigneusement dissimulé et largement oublié aujourd’hui. En ce milieu des années 90, les hydrocarbures de la mer Caspienne et des Etats riverains suscitent les convoitises du consortium américain Unocal. Or cette région d’Asie centrale est enclavée. L’idée va alors germer de construire un gazoduc, doublé d’un oléoduc partant du Turkménistan, et qui devrait déboucher sur l’océan Indien en passant à travers l’Afghanistan.
Il aurait été plus aisé d’évacuer ce pétrole et ce gaz à travers l’Iran. Mais la loi dite d’Amato interdisait tout investissement américain dans ce pays. Les autres voies à travers la Turquie ou le Caucase ont été jugées dangereuses (rébellion kurde, guerre de Tchétchénie…). Ces hydrocarbures auraient permis d’alimenter les nouveaux marchés d’Asie comme la Chine, puissance émergente et grande consommatrice d’hydrocarbures.
Toutefois, la construction de ce gazoduc ne pouvait se concrétiser dans un pays plongé dans l’anarchie. Le département d’Etat américain comme les lobbies pétroliers américains vont donc faciliter la victoire des talibans, en accord avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Le Pakistan gagnera une profondeur stratégique face à l’Inde, et l’Arabie Saoudite pourra poursuivre sa politique d’endiguement du chiisme (rite majoritaire en Iran et en Irak) et exporter/implanter durablement le salafisme en favorisant un régime identique au sien, au double plan, politique et religieux.
Mais, parvenus au pouvoir à Kaboul en septembre 1996, les talibans vont trahir les Etats-Unis. La culture du pavot (l’Afghanistan devient l’un des principaux producteurs) et sans doute une aide financière discrète du Pakistan leur offrent la liberté de quitter la tutelle américaine et de financer leur prosélytisme religieux. La présence sur le territoire afghan, à partir de 1996, d’Oussama Ben Laden à leur côté achève de leur donner une audience dans le monde entier et une certaine admiration dans les pays arabo-musulmans.
Ces événements politiques et la condamnation de l’Afghanistan obligent alors l’Unocal à suspendre son projet pétrolier, en décembre 1998. Les rêves de profits fabuleux grâce à l’or noir de la Caspienne s’évanouissent.
Et l’Arabie Saoudite doit trouver d’autres terrains d’expérimentation aussi bien pour étendre son hégémonie politique et financière que pour répandre/imposer sa version wahhabiste-salafiste de l’Islam.
DAESH : géopolitique et enjeux financiers
Après l’échec relatif en Afghanistan pour asseoir un pouvoir « wahhabiste »au service des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite et celui de la tragédie algérienne, il fallait trouver d’autres « terrains d’expérimentation » et si possible d’implantation.
En Irak, entretemps, un groupe de fondamentalistes qui ont fait leurs armes en Afghanistan créer un mouvement appelé Al-Qâ’ida en Irak. Puis l’organisation s’autoproclame « Etat islamique d’Irak ». Un groupe rebelle syrien, jusque là inconnu annonce la création d’Al-Qâ’ida en Syrie. Des troupes d’islamistes irakiens viennent les rejoindre. Bachar, en fin stratège, libère les prisonniers islamistes qu’il détenait.
DAESH est ainsi crée (acronyme de Dawla Islamiya fi al-‘irâq wa ash-shâm) : Etat islamique en Irak et Syrie. Organisation efficace, vite rejointe par des djihadistes venant d’autres pays , notamment du Maghreb. Elle développe un système de propagande ultra-moderne en usant de façon très professionnelle de tous les outils de communication en usage dans les médias des pays les plus développés.
Parallèlement à cette propagande qui ne recule devant rien (mensonges, provocations, images violentes d’assassinat en direct etc..), Daesh entreprend un travail tout aussi efficace pour le recrutement, en direction des pays arabo-musulmans, mais aussi auprès des jeunes européens nés de parents de confession musulmane. Moyennant bien sûr rémunération conséquente et au pire une mort en martyr avec la récompense suprême du Paradis.
L’armée de Daesh inflige des défaites cuisantes à l’»armée régulière » sous tutelle américaine. Notamment avec l’attaque de la ville de Mossoul, prise en quelques jours et celle de la prison d’Abou Ghraïb avec la libération de quelques 500 prisonniers.
Entre le jeu trouble des pays du Golfe et celui de la Turquie (mêlée, elle au conflit pour des raisons territoriales, liées notamment à la question kurde , on décèle l’ADN de l’Arabie Saoudite dans les succès militaires de Daesh. Une Arabie saoudite dont l’obsession est depuis des décennies d’arriver à contrecarrer l’influence iranienne sur la mer Rouge et sur la communauté chiite présente chez ses voisins.
L’Etat islamique n’est que l’avatar d’un salafisme radicalisé, encouragé par une pluralité d’acteurs: certains Etats nationaux arabes dictatoriaux et idéologiquement déliquescents, bien sûr, mais aussi les Etats-Unis dont la désastreuse expédition irakienne de 2003 a dégagé un vaste espace pour le plus grand bénéfice des djihadistes.
Les sources de financement de Daesh
Des taxes et des amendes saignent les populations des villes et territoires « conquis » et viennent s’ajouter aux revenus du pétrole pour remplir les caisses des islamistes. « Daesh s’autofinance. » Et Obama continue de refuser à intervenir militairement, trop marqué par le souvenir du bourbier irakien, dix ans plus tôt.
De la sorte, Daesh disposait, dès le départ, de fonds considérables, mais vite insuffisants quand il lui fallu administrer tout un territoire. Alors des fonds provenant de riches « mécènes » ont commencé à parvenir, notamment des pays du Golfe, d’Arabie Saoudite et du Koweït en plus de la vente de pétrole illicite en s’emparant de bases pétrolières importantes.
Le revenu de Daesh a été estimé à environ 3 millions de dollars par jour, avec un capital proche de 2 milliards de dollars. L’organisation terroriste exploitait 20% du pétrole extrait des puits qu’elle contrôlait en Irak et en Syrie. Cette production illicite était acheminée à dos d’âne ou par des tunnels souterrains – traversant les champs ou parallèles aux rues des villages dans les pays voisins.
Une autre source provient des sites archéologiques pillés, avec un revenu impossible à chiffrer, mais qui serait à peu près égal à celui du pétrole.
Le sous-secrétaire d’Etat David Cohen avait présenté la stratégie du Trésor des Etats-Unis qui impose des actions drastiques et des interdictions pour toute organisation impliquée d’une façon ou d’une autre dans le transfert ou la vente de pétrole illicite. Il suivait avec attention les difficultés d’accès de Daesh au système financier international. Il considérait notamment que la juridiction du Qatar était plutôt laxiste en la matière, euphémisme pour ne pas dire que ce pays qui avait voté une législation en ce sens était l’un des premiers sinon à financer généreusement l’organisation terroriste, du moins à fermer les yeux sur les capitaux qui lui étaient destinés.
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Bibliographie et sources internet :
- Mohammed Arkoun: Lectures du Coran. Maisonneuve & Larose, 1982
- – Essai sur la pensée islamique. Maisonneuve & Larose, 1973
- – L’Islam, hier, demain. Buchet-Chastel. 1982
- – L’Islam, religion et société. Editions du Cerf, 1982
- Adraoui Mohamed-Ali, Du Golfe aux banlieues : le salafisme mondialisé, Paris, Presses Universitaires de France, 2003.
- Ainine Bilel, Crettiez Xavier, Gros Frédéric, Lindemann Thomas, « Radicalisation : processus ou basculement ? », Radicalités, n° 1, ORAP-Fondation Jean Jaurès, 2016.
- Alava Séraphin, Frau-Meigs Divina, Hassan Ghayda, Hussein Hasna, Les médias sociaux et la radicalisation conduisant vers l’extrémisme violent des jeunes : Rapport UNESCO, Direction de l’information et de la communication, 2017.
- Amghar Samir, Haenni Patrick, « L’idéal salafiste », Manière de voir, vol. 145, n° 2, 2016, p. 14.
- Amghar Samir, « Le salafisme en France : acteurs, enjeux et discours », Sens-Dessous, vol. 9, n° 2, 2011, p. 35-48.
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- Amghar Samir, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Michalon, 2011.
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- Baczko Adam, Dorronsoro Gilles, « Logiques transfrontalières et salafisme globalisé : l’Etat islamique en Afghanistan », Critique internationale, n° 74, 2017/1.
Arabie Saoudite/Grande Bretagne : https://www.la-croix.com/Religion/Islam/LArabie-saoudite-premiere-source-financement-lislam-extremiste-britannique-2017-07-06-1200860997
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/866/reader/reader.html#!preferred/1/package/866/pub/867/page/4
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