Le mouvement féministe maghrébin : entre modernité et fondamentalismes

Oct 28, 2020 | Histoire, Islam, Langues et société

 

 

                                                                                                                                                                                                        Une Zaouia moderne: contre le salafisme

Par Mahfoud Boudaakkar

Les Oulémas et la question féminine

Nous sommes parfaitement conscients que l’expression »Mouvement Féministe Maghrébin » pose question et mériterait de nombreuses clarifications, tant les situations des femmes dans les trois principaux pays, leurs histoires à la fois personnelles et collectives en tant que mouvements structurés ou non sont différentes et parfois même très éloignées en terme d’expériences.

Mais il y a au moins deux choses qui les réunissent par la force de l’histoire et de la géographie :

  • La question coloniale, bien que vécue/subie différemment selon le pays.
  •  La question religieuse tant on connaît l’importance primordiale qu’accorde tous les dogmes religieux et notamment l’islam à la place et au rôle de la femme dans la société.

Il n’est nullement question de revenir sur le rôle fondamental joué par les femmes maghrébines dans tous les actes de résistance et de combats menés depuis au moins la domination romaine.

Celui des Algériennes au sein du mouvement nationaliste depuis le début du siècle dernier jusqu’au récent « Hirâk » en passant par l’épopée glorieuse de la guerre d’indépendance nationale n’est plus à démontrer et bénéficie d’une littérature et d’une iconographie abondantes.

Pour l’instant, nous nous limitons au cas algérien. Les suites de ce dossier seront consacrées bien évidemment à la Tunisie et au Maroc.

On ne peut comprendre l’attitude et les choix des dirigeants algériens vis-à-vis des femmes après l’indépendance qu’en étudiant ou en revoyant la place qui leur a été accordée et ce depuis le siècle dernier au sein du mouvement national de libération. Et notamment auprès des Oulémas (docteurs de la foi) au sein de l’Association des Oulémas Musulmans d’Algérie  جمعية علماء المسلمين الجزائريين

L’ Association des Oulémas de 1931 à 1991, du centenaire de l’Algérie française aux victoires électorales du Front Islamique du Salut L’Association des Oulémas Musulmans Algériens (AOMA) fut créée en 1931 à Alger, juste après les fêtes du Centenaire de la conquête française en Algérie. Elle regroupait des savants religieux (ʿālim, pl. ʿulamāʾ) qui avaient éprouvé le besoin de s’unir pour porter la voix des musulmans algériens en contexte colonial. Très vite, la direction de cette association de loi 1901 fut dominée par les tenants d’un courant « réformiste » (muṣliḥ) dont la figure de proue était le Constantinois ʿAbd al-Ḥamīd Ibn Bādīs (1889-1940). L’iṣlāḥ (réforme ou réformisme en français, deux termes qui n’ont pas la même portée) signifiait pour ces oulémas un retour aux sources scripturaires et la condamnation des pratiques liées au culte des saints, le « maraboutisme », que la majorité des musulmans considéraient comme une part de l’islam au Maghreb dans les années 1930.

Ce  »maraboutisme », qui vient du terme arabe مرابطون    s’était largement développé et organisé à l’époque ottomane, sous la Régence d’Alger. C’était en effet la seule pratique « religieuse » tolérée par les dirigeants turcs, pratique entretenue par un climat culturel globalement rétrograde, où les sciences d’antan avaient laissé la place au charlatanisme, aux superstitions, mythes et autres histoires falsifiées ou tout simplement ignorées.

Précisons à ce sujet que, contrairement à une idée fort répandue et largement diffusée par les autorités algériennes post-indépendance , ce  ne sont pas les Français qui ont interdit l’usage de la langue arabe dans les administrations , mais bel et bien les Beys qui n’accordaient de postes importants dans tous les domaines qu’aux Turcs ou aux turcophones (généralement des Kouloughlis issus de mariages mixtes algéro-turcs).

 Pour en revenir à l’Association des Oulémas, la prédication devait ainsi permettre la diffusion d’un islam réformé , loin du culte des saints et des pratiques d’inspiration soufie. En remontant jusqu’à 1931, il ne s’agit pas de refaire une énième fois le récit mythique des origines et de la lutte supposée entre réformistes et soufis maîtres de Zaouias (écoles au sens propre mais aussi au sens de courant sprirituel ou tarîqa ) ni  entre indépendantistes et assimilationnistes, mais de tenter de comprendre comment s’est construite l’Association des Oulémas, ce que représente son évolution dans l’Algérie coloniale, son rapport aux partis politiques et notamment au rôle que devaient y jouer les femmes .

 L’enseignement était  au cœur des préoccupations des promoteurs , parce qu’il est le point névralgique par lequel le « fait religieux », selon les choix pouvait être imposé . La promotion de la langue arabe et de l’islam est la principale mission que se donnèrent ces hommes, rejoints par quelques femmes qui enseignaient dans des écoles coraniques auto-subventionnées. Le développement de l’Association après la mort d’Ibn Bādīs en avril 1940 et la Seconde Guerre mondiale est marqué, sous la Présidence du cheikh al-Ibrāhīmī (1889-1965), par la structuration renforcée de ce système d’enseignement, au point de constituer un véritable petit ministère de l’enseignement islamique en Algérie. Par la diffusion d’une conception de l’identité algérienne comme arabe et musulmane. Tout le travail de l’AOMA en faveur de la séparation de l’islam et de l’État colonial est politique : les Oulémas argumentent, négocient, se conforment aux lois coloniales pour faire entendre leur voix avec celle des réformistes politiques comme Farḥat ʿAbbās (Ferhat Abbas ; 1899-1985). En 1952, le Président de l’Association, le cheikh al-Ibrāhīmi, quitte l’Algérie pour Le Caire, alors capitale du nationalisme arabe. Il y représente l’AOMA auprès des leaders arabes et musulmans, renforce les liens avec les mouvements nationalistes et islamiques et favorise ainsi la venue d’étudiants de l’Institut Ibn Bādīs, créé en 1947 à Constantine, dans les établissements supérieurs du Moyen-Orient.

 L’exil au Caire du cheikh al-Ibrāhīmī est le prolongement d’années de contact et d’échanges avec l’Égypte d’abord et de façon plus large avec le monde musulman. Sans ce cadre élargi, il n’est pas possible de comprendre comment l’Association construit l’identité arabe et musulmane de l’Algérie.

De toutes ces actions louables dont l’histoire restera témoin, nous retiendrons que l’Association n’a que peu donné la parole aux femmes et que le mouvement réformiste musulman (pour ne pas dire islamique), n’a pratiquement pas laissé de grands noms féminins ni en tant que militantes, ni en tant que leader-théoriciennes .

C’est à notre sens, ce parti-pris d’une Algérie arabe, donc forcément arabophone, musulmane, donc forcément exclusive de toute autre croyance qui allait faire le socle idéologique de ce que nous appelons le « néo-FLN » dans son volet nationaliste panarabe baathiste et sa rétractation religieuse, vers la rigidité et peu à peu, l’adoption (même officieuse) du salafisme, aide pécuniaire saoudienne en prime.

Ce terreau, doublement malsain allait faire le lit du FIS et son salmigondis théo-politique largement construit autour de la question féminine devenant peu à peu une obsession, la femme étant le mal absolu qui rongeait l’Algérie.

Le féminisme musulman

Egalement appelé féminisme islamique, il s’agit d’un mouvement souvent proche de ce que l’on pourrait appeler l’ ‘islam libéral », qui revendique un féminisme interne  et vise à une modification des rapports entre femmes et hommes en étant plus souple envers les femmes et en leur octroyant plus de droits que ne l’admet la charia appliquée au sens strict.

Il est comparable, en ce sens, à d’autres mouvements théologique au sein du féminisme chrétien  ou du féminisme judaïque , en ce qu’il se fonde sur une étude des textes sacrés pour tenter d’affirmer l’égalité des genres.

 

Le féminisme islamique tente de créer un espace entre deux positions critiques, contradictoires en un sens mais complémentaires en un autre, en ce qu’elles oblitèrent la possibilité même d’un tel féminisme : d’un côté, celle des fondamentalistes qui affirment que le féminisme est une invention occidentale, produit d’un monde athée condamnable à plus d‘un titre et abhorré, et de l’autre une position féministe ou/et occidentale qui soutient le caractère prétendument incompatible de l’islam et du féminisme, opinion souvent accompagnée d’une dénégation de l’existence de mouvements féministes spécifiques aux pays musulmans.

Le féminisme islamique est présent dans de nombreux pays, des USA  à l’Afrique du Sud, de  l’Europe à l’Asie en passant par les pays du Maghreb et du Machrek. Il se mobilise essentiellement contre le patriarcat, le tutorat obligatoire (grand frère ou ou toute personne masculine ayant lien de parenté et/ou d’autorité.

  Lhistoire du féminisme  en Europe

Elle commence dans la seconde partie du 19ème siècle , lorsque le mot féminisme  apparaît sous la plume d’Alexandre Dumas Fils. Cependant, dès la fin du Moyen-Âge, des auteurs critiquaient la place accordée aux femmes dans la société. Le discours féministe, à partir de ce moment, met plusieurs siècles pour s’élaborer et s’afficher comme un mouvement revendiquant, dans un premier temps, l’égalité civique et civile des femmes et des hommes puis une libération des femmes du carcan patriarcal tel qu’il est ressenti par les militantes.

À partir donc de cette apparition structurée du féminisme, son histoire est le plus souvent divisée en trois périodes pendant lesquelles certaines revendications sont plus mises en avant. Ainsi la première vague se réfère au XIXe et au début du 20 ème siècle  quand les principales revendications se rapportent au droit de vote, aux conditions de travail et au droit à l’éducation pour les filles et  pour les femmes. La deuxième vague (1960-1980) dénonce l’inégalité des lois , mais aussi les inégalités culturelles et remet en question le rôle des femmes dans la société .

Ce fut la période de la revendication des pleins droits, de la liberté de disposer de son corps, de la sexualité libre et consentie ; le droit à l’avortement et autres avancées significatives. Si ce découpage prédomine dans la critique occidentale – encore que nombre de féministes en France jugent que la troisième vague est propre au mouvement américain – il ne peut être plaqué sur l’histoire du féminisme des autres parties du monde.

La littérature sur le sujet tend à délaisser les autres cultures et civilisations alors que des mouvements de défense de droits des femmes apparaissent dès le début du  20 ème siècle  sur les autres continents, d’ailleurs souvent inspirés par les idées occidentales. En fonction de la période, des cultures ou du pays, les féministes, à travers le monde, ont défendu des causes et affiché des objectifs différents. La qualification de féministes pour ces mouvements est sujette à controverse. En effet la plupart des historiens du féminisme, en Occident , s’accordent pour dire que tous les mouvements dits « féministes » méritent étude à part, au cas par cas et pays par pays.

Féminisme et monde arabe

Le sujet, concernant le monde Arabe étant vaste et encore peu explorée ou d’une manière éparse, fragmentée, nous nous limiterons d’abord à la zone géographique appelée Grand Maghreb.

En mettant l’accent surtout sur les périodes post-indépendance et leurs impacts sur les mouvements sociaux qui agitent actuellement cette partie du monde arabe et laissera très probablement des traces, des transformations irréversibles dans le vivre-ensemble femmes-hommes. Notamment concernant les sujets centraux que sont le Code de la Famille, les règles qui régissent l’héritage et bien d’autres sujets de la plus haute importance .

LE CAS DE L’ALGERIE

Pendant la guerre d’indépendance nationale, de nombreuses femmes ont rejoint la cause indépendantiste de 1954 à 1962. Engage auprès du Front de Libaration Nationale (FLN) ou sa branche armée l’ALN (Armée de Libération Nationale), elles ont toutes contribué à leur façon à l’indépendance de l’Algérie.

Certaines se contentaient de venir en aide aux moudjahidines  en nettoyant leurs vêtements ou en leur préparant des vivres, d’autres étaient infirmières, couturières ou encore propagandistes. Certaines furent poseuses de bombes ou prirent le maquis afin de prendre les armes auprès des Moudjâhidîn. Bien qu’il ait été crucial pour l’indépendance de l’Algérie, le rôle de ces femmes est peu connu à travers le monde et même au sein de la population algérienne.

L’indépendance leur fut confisquée comme ce fut le cas pour l’ensemble du peuple algérien , à part une minorité d’arrivistes-opportunistes qui surent « profiter » du pouvoir (souvent à l’ombre de leurs époux ou proches).

Aux femmes, on a formulé les politesses d’usages avant de les renvoyer dans leurs cuisines avec pour mission d’élever de bon citoyens fidèles à l’ »Esprit de la Révolution de Novembre » !!!

La guerre d’indépendance nationale a donné lieu à des actes de bravoure et de courage de la part de femmes qui sont devenues des héroïnes à l’échelle de la planète et ont contribué fortement à ébranler les tenants de l’Algérie Française à tout prix, à commencer par De Gaule lui-même.

Qui n’a entendu parler de Djamila Bouhired, Zohra Drif, Lucie Aubrac, Jacqueline Guerroudj et tant d’autres …

Toutefois, sur le plan du leadership intellectuel, il ne semblerait pas que l’une d’elle ait eu un ascendant quelconque sur les autres. Tour laisse à croire même que ces grandes dames ont plutôt vécu, milité, combattu en quelque sorte à l’ombre de leurs époux à commencer par Messali Hadj lui-même et le rôle fondamental qu’a joué auprès de lui son épouse.

Il restera ensuite à suivre ce que ces femmes ont laissé sur la plan « doctrinale » en termes d’interventions, de traces écrites que ce soit en Arabe ou en Français .

Le mouvement féministe algérien à la lumière du Hirâk

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur l’émergence forte et visible des femmes au sein du mouvement de renouveau appelé « hirâk ». Quelques caractéristiques cependant aisément observables et indéniables :

  • Une spontanéité étonnante avec visiblement le consentement , voir la complicité et les encouragements des entourages masculins.
  • Une liberté de ton inhabituelle généralement en milieu féminin, y compris au niveau de l’usage de la langue, notamment en dialectal où des slogans habituellement bien « virils » se retrouvaient dans la bouche de très jeunes filles aux allures très libres, y compris sur le plan vestimentaire et prêtes « à en découdre » pour défendre ce qu’elles appelaient le « Carré Féminin ».
  • Visiblement, l’absence de leadership; plutôt une myriade d’associations, regroupements très probablement improvisés, avec des revendications disparates et pour cause : il y a tant à réclamer et à arracher !!!
  • Un consensus cependant sur un sujet qui ne peut que faire l’unanimité: la nécessaire et urgente abrogation du Code de la famille, surnommé « code l’Infâmie » et l’ouverture d’un vrai débat à ce sujet qui déboucherait sur une vraie loi moderne convenant au plus grand nombre, au vu de la complexité de la société algérienne.
  • Autre miracle de ce hirâk : l’atonie (stratégique?) des islamistes ! Pratiquement absents sur le plan physique et au niveau du discours … Même la forte présence des femmes ne semblaient pas les contrarier… Y compris la tendance dite « féministes islamiques » issue de la mouvance de l’Association des Oulémas d’Algérie.
  • Peut être le temps est-il arrivé de voir l’émergence de nouvelles figures féminines, de nouvelles revendications, de nouveaux styles ?

 

M. Boudaakkar

28 octobre 2020

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Wassyla Tamzali, née le 10 juillet 1941 à Béjaïa, est une écrivaine et une militante féministe algérienne. Elle est également une ancienne avocate à la Cour d’Alger de 1966 à 1977, ancienne directrice des droits des femmes à l’UNESCO à Paris. Elle fut membre des instances dirigeantes du FFS, après 1989.

http://www.fmsh.fr/fr/recherche/26456

 

Tunisie, voir:

Mouvement féministe Tunisie

https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2014-2-page-14.htm

https://journals.openedition.org/clio/286

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/08/07/tunisie-avec-la-mort-de-beji-caid-essebsi-le-feminisme-a-perdu-un-allie_5497419_3212.html

 

Maroc:

Cairn-info, le mouvement des femmes au Maroc:

NQF_332_0043

Lutte pour l’égalité racontée par des femmes marocaines

Lire aussi:

  • Féminisme-s islamique-s
  • Ismahane Chouder
 
 
 
 
 

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