Orthodoxie musulmane et fondamentalismes

Oct 28, 2020 | Histoire, Islam

D’un extrême à l’autre

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Par Mahfoud Boudaakkar

Toutes les religions ont leurs extrêmes, dégagent des courants de pensée qui s’éloignent de la source fondamentale; non seulement des textes fondateurs mais aussi de la pratique même de la religion concernée, telle qu’elle s’est établie au cours des siècles et telle que pronée par les tenants du pouvoir spirituel ou politique (généralement les deux dans le monde arabo-musulman où l’islam est « religion d’état »). C’est à dire où l’on ne reconnaît pas le principe de laïcité au sens français par exemple.

L’Islam orthodoxe sunnite a secrété très tôt des courants divergents, contradictoires et opposés sur le plan « doctrinal » *. Jusqu’à se scinder en shismes irréconciliables : chiisme, kharédjisme…

L’époque contemporaine connaît au sein même de l’Islam orthodoxe donc en principe un bloc majoritaire et consensuel des dissensions profondes débouchant sur de graves fractures socio-politiques menant à la déstabilisation, et même au chaos des régimes et des régions entières.

Les appellations sont nombreuses pour désigner ce phénomène d’une ampleur sans précédent dans l’histoire arabo-musulmane: fondamentalisme, intégrisme, islam radical, extrémisme islamique… Et pour cause:on n’a pas affaire à un « mouvement » monolithique facilement identifiable, mais à une myriade de courants théo-politiques de fait qui se retrouvent au final sur un point d’accord: le retour au « jihad » au sens de guerre sainte aussi bien contre les pouvoirs locaux qualifiés d’impies que contre ceux qui ne suivent pas les nouvelles « grilles de lecture », qualifiés d’apostats et bien entendu l’ennemi extérieur, l’Autre, le non musulman, kâfir quelle que soit sa religion par ailleurs…

Pourtant, tous ces courants s’abreuvent aux mêmes sources en les interprétant et en les mettant à exécution selon les contingences et les spécificités du pays concerné.

Aux sources des dérives actuelles

Mohammed Ibn Abdelwahab et le Prince Saoudien Mohammed Bin Salman

Rappels : 1- « Le wahhabisme (en arabe : وهابية, Wahhābiya(h)) ou la dawa wahhabite (arabe : الدعوة الوهابية, ad-Da’wa al-Wahhābiya(h)) est un mouvement de réforme se réclamant de l’islam sunnite hanbalite, prônant « un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes ». Le prédicateur et théologien Mohammed ben Abdelwahhab (1703-1792) est considéré comme le fondateur du mouvement vers 1740. Il s’allie avec Mohammed Ibn Saoud, le fondateur de la dynastie saoudienne, vers 1744-1745, alliance qui perdure encore aujourd’hui entre la famille de ses descendants, Al ach-Cheikh, et la dynastie Al Saoud. L’un des principes centraux du wahhabisme est la qualité de Dieu où toute association d’être ou objet avec Dieu, telle que le « culte des saints », est considérée comme une forme de polythéisme (shirk).

Le wahhabisme est aujourd’hui la forme officielle de l’islam sunnite hanbalite en Arabie saoudite et, sous une forme atténuée, au Qatar. Toutefois, les intéressés et officiels saoudiens récusent hautement l’utilisation de ce terme à leur égard: la doctrine qu’ils suivent est selon eux évolutive, contrairement à la doctrine wahhabite qui enseigne qu’une seule interprétation des textes religieux est possible et qu’il n’y aurait donc pas de place pour un pluralisme islamique.

Hassan al Bannâ

2- La Société des Frères musulmans (en arabe : جمعية الأخوان المسلمين ; jamiat al-Ikhwan al-muslimin), raccourcie en Frères musulmans (الإخوان المسلمون ; al-Ikhwān al-Muslimūn), est une organisation transnationale islamique sunnite fondée en 1928 par Hassan el-Banna à Ismaïlia, dans le nord-est de l’Égypte. Composée d’un appareil militaire et d’une organisation ouverte, son objectif officiel est la renaissance islamique et la lutte non violente contre « l’emprise laïque occidentale » et « l’imitation aveugle du modèle européen » en terre d’Islam. Cette organisation panislamiste est officiellement considérée comme organisation terroriste par le gouvernement égyptien, la Russie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Elle a rapidement essaimé ses idées dans les pays à majorité musulmane du Moyen-Orient, comme au Soudan ou en Afrique du Nord, et a également établi des instances nationales dans des pays non musulmans, dont des pays européens. Certains groupes de partisans se sont constitués en mouvements autonomes, comme le Jama’a al-islamiya ou le Hamas. »

Source: wikipedia.

Des mouvements théo-politiques avec la religion comme alibi

Ces deux « mouvements de pensée » sont les deux mamelles fondamentales de ce que l’on appelle aujourd’hui communément l’intégrisme islamiste. Les appellations sont nombreuses, tant les contours de cet « intégrisme » sont flous, fluctuants, presque insaisissables. Les spécialistes les plus chevronnés peinent à en donner une définition précise et à en décrire correctement, les rouages, les mécanismes, les centres de pouvoir et/ou de décisions (tant est qu’il y en ait), les sources de financement, les principaux leaders…On parle donc de fondamentalisme, de salafisme, d’islam radical, d’extrémisme islamique, en y ajoutant chaque fois que possible le vocable « terroriste ».

Ces deux mouvements de pensée (wahabisme+son pendant version doctrine Frères Musulmans ), ont assez vite quitté leurs apparats pseudo théologiques pour se muer ouvertement en idéologie à caractère profane (avec toute l’hypocrisie qui sied aux mouvements extrémistes). Avec pour seul but, non avoué évidemment de s’emparer du pouvoir, par tous les moyens aussi bien en terres d’Islam (gouvernées par des apostats voués aux gémonies) que partout ailleurs dans le monde où cela pourrait être possible. Par tous les moyens. D’où le développement de la doctrine du « djihâd », terme complexe en islamologie mais détourné sans scrupules par des « théologiens » falsificateurs et opportunistes pour en faire une arme redoutable et former ainsi les premiers bataillons de « djihadistes » présentés comme de vaillants « soldats de Dieu », martyrs potentiels destinés à des fins glorieuses avec en prime la promesse du paradis éternel et ses réjouissances infinies. Cela a commencé ainsi, il y a maintenant plus de trois décennies.

L’ Algérie comme « terrain d’expérimentation »

Mais pour passer à l’acte, il fallait commencer une expérience grandeur nature, dans un « vrai » pays, doté d’une grande population et surtout de richesses naturelles conséquentes dont notamment, bien sûr, les hydrocarbures. L’expérience afghane, en effet se révélait insuffisantes, peu probable et surtout pas assez « spectaculaire » par rapport à un projet aussi grandiose et ambitieux à visée internationale, pour ne pas dire universelle. Pour de multiples raisons à la fois historiques et factuelles qu’il serait trop long d’évoquer ici, ce pays était tout trouvé : l’Algérie, alors maillon faible du monde arabe.

L’Algérie, en effet, qui passait une sale période, suite à la chute drastique des prix du pétrole et des conflits internes au parti unique d’alors, le néo-FLN hégémonique et sclérosé sous tous les aspects. Dans un pays à la dérive aussi bien sur le plan économique que sociétal. La suite, on la connaît: une guerre civile de plus d’une décennie…

De la lutte armée(jihâd) aux mascarades électorales

Comme on le sait,, la mascarade électorale qui failli faire parvenir le FIS (Front Islamique du Salut) au pouvoir a été stoppée au dernier moment par l’armée, qui du même coup a évince le principal instigateur de cette stratégie destinée à le débarasser de l’encombrant néo-FLN. Vaincu, militairement, les islamistes algériens cherchent maintenant la voie pacifique des élections, puisque toujours présents légalement dans le paysage politique avec d’autres appellations et des « programmes » moins belliqueux.

Mais la vague allait s’étendre à d’autres pays qui ont voulu jouer la même carte, sans tenir compte, sans tirer de leçon du drame algérien. La Tunisie, où les islamistes finissent par arriver au pouvoir, puis à être rejetés pour leurs incompétences entre autre; l’Egypte où les Frères Musulmans arrivent à faire élire président l’un des leurs, jusqu’à obliger l’armée à intervenir tardivement ‘ contrairement à l’Algérie – pour démettre le président élu et remettre les pleins pouvoirs au putchiste al-Sissi.

Disons pour conclure que si les fondamentalistes n’ont pas réalisé leurs ambitions de prise du pouvoir et de création de califats islamiques, ils ont en réalité gagné une bataille  qui fait qu’ils n’ont pas encore dit leur dernier mot: ils ont gagné les consciences, ils sont parvenus à faire admettre leurs interprétations de la religion et ce , même dans les pays occidentaux où existent de fortes communautés musulmanes

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* Lire sur wikipedia l’histoire du mouvement des Qarmates

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