Par le Docteur Rafik Al Sabban
Dramaturge, scénariste et critique de cinéma.
L’image des premiers films produits en Egypte, l’histoire du cinéma égyptien est un véritable conte, où se mêlent larmes et sourires, et où les drames s’ entrelacent au chant et à la danse.
Son commencement est la découverte faite par Mohammed Al-Kalioubi – qui réalisait un documentaire sur la vie d’un des pionniers du cinéma des années 20, Mohammed Bayoumi – de quelques boîtes de vieux films, laissées à l’abandon dans la cave obscure de la vieille maison de Bayoumi. AI-Kalioubi découvrit ainsi un ensemble de filins de fiction réalisés par Bayoumi dans les années 20, et par conséquent plus anciens que le film de Aziza Amir, Laila, datant de 1928, et considéré jusqu’alors comme le premier film de fiction. Cette trouvaille obligea tous les critiques et tous les historiens à reconsidérer leurs écrits sur la naissance de ce cinéma.
Mais bien avant ces films, l’Egypte avait connu le cinéma des frères Lumière, grâce à la communauté française, importante en Egypte. Et c’est comme cela que le peuple égyptien se familiarisa avec cette invention, qui deviendrait plus tard l’un des arts les plus importants du 20ème siècle. Les films Lumière et les films de Méliès étaient projetés sur les écrans des cafés, au Caire et à Alexandrie. Ils enflammaient le cœur des égyptiens, qui laissaient ainsi libre cours à leurs rêves et voyaient dans cet art la possibilité d’exprimer ce qu’ils ressentaient intérieurement. Ajoutez à cela la capacité de ce nouvel art d’enregistrer sur le vif des événements mondiaux et de les reproduire sur les écrans…
Mais, revenons à notre propos initial. On se rend compte que le cinéma égyptien est lié en grande partie grâce aux femmes, une originalité qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, y compris dans les pays les plus développés. Ses débuts sont dignes des meilleurs mélodrames écrits par Hassan AI Imam et produits par Douglas Sirk.
Tort commença lorsqu’un beau jeune homme d’origine turque, Wedad Arafï, arriva an Caire Cet homme. ambitieux et intelligent, pressentit l’impact du cinéma sur le coeur des belles femmes. Grâce à sou charme ci à ses phrases mielleuses, il manipula un grand nombre de stars du théâtre et de la haute société, leur promettant gloire.
succès et argent grâce au cinéma. Et bien que Wedad Arafi ne possédât aucune expérience cinématographique. ni aucun talent, à part sa beauté et la douceur de son verbe, Fatma Roschdi, la Sarah Bernhardt orientale, fut sa première victime, en acceptant de produire un film, réalisé par Wedad, où elle tenait le rôle principal. Mais une serrure plus tard, découvrant le piège, elle arrêta le tournage et brûla tous les négatifs, renvoyant cette expérience aux oubliettes.
Sa deuxième victime fur Bahija, une fille de bonne famille qui, sur un coup de tête, décida de rompre avec les u alitions et de devenir célèbre. Elle aussi tomba dans le piège, mais elle découvrit le complot et décida de se débarrasser du réalisateur. Quelques mois plus tard, Bahija finit par réaliser le film elle-même, devenant ainsi la première femme réalisatrice de
l’histoire du cinéma égyptien, voire du cinéma mondial tout court.
La même histoire se reproduisit avec Aziza Amir qui, deux semaines après le début du tournage de Laila, découvrit que Wedad Arafi en savait autant sur le cinéma qu’elle-même sur la langue chinoise ! Elle lui claqua la porte au nez et appela sur le champ Stéphane Rusti qui avait appris quelques bases cinématographiques en Italie. Ce film fut longtemps considéré comme le premier long métrage de fiction de l’histoire du cinéma égyptien, du moins avant la découverte des films de Bayourni.
Le succès de Laila et des filins, peu nombreux, qui suivirent encouragea un certain nombre de participants à l’aventure. Mais l’apparition du parlant et l’émergence de l’immense chanteur Mohamed Abdel Wahab dans son film La noce blanche firent naître un genre nouveau, qui durant trente ans rivalisa avec le succès. L’énorme réussite de la comédie musicale permit ainsi au cinéma égyptien de dominer.
Tout le monde arabe et de créer mie mode, le public étant avide de chansons et de numéros de danse. En outre, la comédie musicale égyptienne réussit a inventer mi style radicalement différent de Hollywood. On commença a entendre parler d’acteurs, à la fois chanteurs et danseurs, dignes de Fred Astaire Ginger Rogers, Jeannette Macdonald, Judy Garland ou encore Mickey Rooney avec des noms comme Farid Al-Atrache, Samia Jamal, Mohamed Fawzi, Tahia Karioka ou alors Oum Kalthoum et Abdel Wahab, les rois du chant arabe.
Mais la véritable naissance de l’industrie cinématographique en Egypte est due à Talaat Harb, le célèbre homme d’affaire et banquier. Harb bâtit le premier vrai studio de tournage et l’équipa de matériel de haute technologie. Il envoya aussi en Europe un certain nombre de techniciens, afin qu’ils se familiarisent avec les méthodes du cinéma. A leur retour, ceux-ci devinrent le fer de lance d’un nouveau cinéma, jeune et talentueux, qui sut s’exprimer, et ce, malgré les pressions politiques de l’époque – l’Egypte étant sous mandat britannique. La censure politique interdisait aux filins de s’attaquer aux sujets délicats, sociaux ou politiques, qui traitaient de près ou de loin de la réalité égyptienne. Mais cela n’empêcha pas le chrétien Henri Barakat et Ahmed Jalal, Mohamed Karim, Ahmed Badrakhan et Youssef Wahbi de réaliser de grandes œuvres, couronnées de succès dans les festivals et auprès d’un public (le plus en plus large).
Malgré la censure politique – anglaise et gouvernementale – la révolution de 1952 a ouvert les portes d’un renouveau cinématographique, qui s’est traduit par l’apparition de sujets inspirés de l’oeuvre d’écrivains tels que Naguib Mahfouz, Yahya Hakki et Ihsan Abdel Chadouf. Les films des réalisateurs Youssef Chahine Salah Abou Seif, Tawfik Saleh et Kamal Al-Cheikh sont ainsi devenus des classiques et ont rencontré des carrières internationales. En outre, la création du secteur public, qui avait pour but la production de films ambitieux, capables (le rivaliser avec le cinéma international, a permis à Youssef Chahine de réaliser son chef d’œuvre Gare Centrale, à Salah Abou Seif (le tourner La sangsue et Mort parmi les vivants, et la réalisation du film Les révoltés par Tawfik Saleh, Le facteur par Hossein Kamal, Le pêché par Henri Barakat et surtout par Shadi Abdel Salam du brillant La momie. Cette période, critiquée par certains à cause (le quelques dérapages financiers, était et restera l’âge d’or du cinéma égyptien. La disparition du secteur public et la politique de l’ouverture (Infetah), initiée par Sadate dans les années 70, donne un coup d’arrêt à cet élan. Une nouvelle classe sociale, riche et dépourvue de sensibilité artistique et culturelle, lait baisser le niveau et précipite le cinéma égyptien vers le fond, malgré la résistance d’un certain Tahseen Kamal ou encore de:Mohamed Abdel Aziz ou Ali Abdel Khalek.
Il a fallu attendre la nouvelle vague, initiée par Mohamed Khan, avec son esthétique de l’espace, Atef AI-Tayeb et son profond regard social et Kheiri Bechara, avec sa petite folie et son imagination, pour que les choses changent. Et même si cette période n’a pas duré longtemps, elle a permis d’ouvrir la voie aux jeunes réalisateurs d’aujourd’hui tels que Yousri Nasrallah, Asma El Bakri, mais aussi Daoud Abdel Sayed, qui ont osé réaliser des oeuvres originales et personnelles. Ainsi, le cinéma égyptien traverse aujourd’hui une période de renaissance, après des années maigres qui ont vu la production baisser de 80 à 15 longs métrages par an. L’espoir renaît grâce aux jeunes réalisateurs fraîchement sortis de l’Institut du Cinéma, le plus important du Proche-Orient. Des hommes et des femmes avec une sensibilité, un courage et nue folie inouïs, à l’image de la jeunesse d’aujourd’hui. Leurs courts métrages de fin d’études, présentés et parfois primés dans les festivals internationaux, prouvent que le cinéma égyptien, considéré comme titre des plus grandes cinématographies du monde, est encore capable de renaître de ses cendres.