Des réalisateurs qui ont marqué le cinéma algérien

Nov 3, 2020 | Cinéma arabe, Histoire, Société

Mohamed Chouikh

Acteur et Réalisateur

Né à Mostaganem, le 3 septembre 1943, il a onze ans en 1954, quand débute la guerre d’Algérie. En 1962, l’indépendance est proclamée. Dans sa ville natale, Mohamed Chouikh devient acteur au sein d’une troupe de théâtre qui deviendra le Théâtre National Algérien. En 1965, il joue dans l’une des premières grandes réalisations algériennes, L’Aube des damnés de René Vautier et Ahmed Rachedi. Un an plus tard, il interprète le rôle de Lakhdar (le fils) dans Le vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina. Le film obtient le prix de la première oeuvre à Cannes. Jusqu’en 1970, Mohamed Chouikh se consacre essentiellement à sa carrière d’acteur au théâtre et au cinéma. Il est le héros de Hors-la loi de Tewfiq Farès en 1969. Le film de Michel Drach Elise ou la vraie vie d’après le roman de Claire Etcherelli, dans lequel il incarne le partenaire tragique de Marie José Nat, le révèle au public Français. 1972 constitue pour lui une étape décisive : parallèlement à sa carrière d’acteur, Mohamed Chouikh se confronte à l’écriture et se forme aux métiers du cinéma en participant à divers tournages. Comédien sobre et sensible, il fait alors preuve de réelles qualités de cinéastes. II réalise L’Embouchure (1972) et Les Paumés (1974) pour la télévision algérienne, deux films traités différemment, qu’il juge, avec du recul, comme des créations de recherche. Rupture, en 1983, est son premier long-métrage pour le cinéma. En 1989, La Citadelle décrit une journée particulière dans la vie d’un village du Sud oranais. Cette farce tragique sur la solitude des uns et la polygamie des autres, révèle l’histoire de deux sociétés séparées par un mur, celle des hommes et celle des femmes. Ce film remporte une vingtaine de prix internationaux. En 1993, Youcef, la légende du 7e Dormant, l’histoire d’un combattant qui se croit toujours prisonnier de l’armée française, est présentée à Berlin et à Venise.

L’Arche du désert, en 1997, est projeté dès sa sortie à Locarno. « Je suis pour les traditions qui unissent, qui donnent la vie, déclare Mohamed Chouikh après une diffusion en Algérie. Pas pour une culture qui tue et se replie sur elle-même. Mon film est l’autopsie de la haine, du cycle de la violence clôs par la mort. Après Locarno, il a été projeté à Sarajevo ». Le film dépeint la vie dans un village du désert qui bascule dans l’intolérance face à l’histoire d’un couple dont les membres appartiennent à deux groupes différents. Le Douar de femme (2005), sa dernière réalisation tournée l’été 2004 entre Alger et Béjaïa, est le fruit d’un travail familial. II est en effet produit et monté par Yamina, la femme du réalisateur, elle-même réalisatrice de Rachida (2002). L’une des filles de Mohamed Chouikh y est actrice et sa soeur est première assistante. Le film inaugure l’année cinématographique 2006 en Algérie. Soutenue par les médias et en particulier à la télévision (coproductrice majeure de l’oeuvre), l’avant-première a connu un succès considérable dans une salle bondée. « Vingt-cinq ans après La Nouba des femmes du mont Chenoua de Assia Djebar, notait El Watan au lendemain de la projection, l’absence des hommes valides dans Douar de femmes permet de mesurer combien la résistance des personnes dites du sexe faible a permis à l’Algérie de rester debout. Les actrices viennent tour à tour jouer leur part du rôle avec des répliques parfois très audacieuses qui font peu à peu voler en éclats les tabous coutumiers. Contrairement à La Citadelle ou à La légende du 7e Dormant, Chouikh se base essentiellement sur une mise en scène du verbe plutôt que sur l’action. Le film appartient en cela à cette longue tradition que s’est forgée le cinéma algérien d’être un cinéma féministe au masculin. Sachant la difficulté de monter un film par les temps qui courent, on ne peut que rendre hommage à Mohamed Chouikh pour leur contribution à la survie du cinéma en Algérie.

Mohamed Lakhdar Hamina

Mohamed Lakhdar Hamina a tout juste vingt ans quand éclate la guerre de libération. Natif de Sétif, il commence ses études en Algérie, puis part les terminer en France. Au lycée Carnot de Cannes, il partage le pupitre du fils d’un directeur de la photo et se prend d’intérêt pour le cinéma. Appelé sous les drapeaux français en 1958, il déserte, rejoint la résistance algérienne à Tunis et c’est au maquis qu’il tourne ses premiers films.  » Quand je suis arrivé là-bas on m’a demandé ce que je savais faire, j ci dit que j’étais cinéaste « . En 1959, il est envoyé par le FLN à Prague pour suivre des études à l’école de cinéma, la FAMU, où il se spécialise dans la prise de vue. Entre temps, il fait plusieurs séjours à Tunis où il tourne avec Djamel Chanderli Yamina, Le Voix du peuple et Les Fusils de la liberté. Après l’indépendance, il rassemble ses anciens collaborateurs de Tunis pour jeter les bases de ce qui va devenir l’Office des actualités algériennes dont il devient le directeur de 1963 à sa dissolution en 1974.

Enfant de la révolution, Mohamed Lakhdar Hamina n’aura de cesse de filmer pour dénoncer les conditions et l’histoire de ces hommes qui ont lutté pour l’indépendance. En 1965, il tourne son premier long-métrage Le Vent des Aurès, l’odyssée d’une femme partie à la recherche de son fils emprisonné pendant la guerre, une histoire inspirée de celle de sa grand mère. L’actrice Kheltoum interprète cette « mère courage » devenue un symbole pour tous les Algériens. Couronné du Prix de la première ooeuvre au festival de Cannes en 1967, Le Vent des Aurès est le premier film algérien qui consacre la présence du jeune cinéma sur la scène internationale.  » Le Vent des Aurès s’organise en poème de la terre algérienne, à coup d’images larges et simples  » écrivait le critique de cinéma Jean-Louis Bory. L’année suivante, il tourne Hassen Terro. D’un tout autre genre ce film emprunte à la veine comique pour pasticher la guerre d’Algérie à travers les mésaventures d’Hassen, un petit-bourgeois, qui est entraîné malgré lui dans le feu de l’action révolutionnaire. Antihéros, froussard et vantard, Hassen est interprété par le formidable Rouiched, dont la popularité égalait celle de Fernandel. Avec ce film, Lakhdar Hamina acquiert une popularité sans précédent auprès des spectateurs algériens qui aujourd’hui encore ne se lassent pas de l’interprétation de Rouiched sur le petit écran. Dans Décembre, son troisième long-métrage sorti en 1972, Lakhdar Hamina aborde la torture en s’inspirant de l’histoire de son père, mort sous les sévices. A Alger, un des responsables du FLN est arrêté par l’armée qui emploie les méthodes les plus violentes pour faire parler les prisonniers. Le recours à la torture pose un cas de conscience à un officier français. Jouant sur le champ-contre-champ, entre le torturé et son tortionnaire, dans un huis clos étouffant, Lakhdar Hamina aère son film avec des retours en arrière sur l’enfance du prisonnier qui annoncent son prochain film. Et en 1974, c’est Chronique des années de braise, grande fresque historique qui nous entraîne dans ces années d’après l’indépendance. « Avec ce film, ]*’avais eu envie d’expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d’Algérie. Cette révolte, qui est devenue la révolution algérienne, est non seulement contre le colonisateur, mois aussi contre la condition de l’homme . » dit Mohamed Lakhdar Hamina qui ajoute  » Mon film n’est qu’une vision personnelle même s’il prend appui sur des faits précis « . Partagé en six tableaux, depuis les premiers mouvements de résistance jusqu’à l’insurrection de 1954, le film est une magnifique épopée d’une grand force visuelle. II suscite une polémique en Algérie sur le budget qui lui a été alloué. Il n’en remporte pas moins la Palme d’or à Cannes en 1975, unique récompense connue à ce jour pour un film venu du continent africain. Mohamed Lakhdar Hamina signe ensuite deux films : Vent de sable en 1982, sur une communauté rurale isolée malmenée par une nature violente dans laquelle se mire le rapport entre les hommes dominateurs et les femmes puis La Dernière Image, en 1985. Du réalisme poétique du Vent des Aurès à l’humour de Hassen Terro, du face à face humaniste de Décembre jusqu’à la grande fresque de Chroniques des années de Braise, la guerre d’Algérie n’a cessé d’inspirer les quatre premiers films de Mohamed Lakhdar Hamina. 

Nadir Mokneche

Né en 1965, Nadir Moknèche passe son enfance et son adolescence à Alger. Il fréquente l’école Saint-Joseph, puis un collège et un lycée publics. En 1984, il passe son bac en France. Après deux années de droit à Paris, pris par un désir de rupture, il part pour Londre.                                                                       

De retour à Paris, il suit des cours d’art dramatique entre 1989 et 1993, d’abord avec Nicole Mérouse, puis à l’Ecole du Théâtre National de Chaillot et enfin avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil. II découvre le cinéma au cours de cette période. Avec une caméra super 8, il tourne quelques petits films. De 1993 à 1995, il fréquente les cours de cinéma de la New School for Social Research à New York et réalise ses deux premiers courts-métrages, Jardin et Hanifa, qui remportent, en 1996, le premier prix du festival de cette université. Son premier film, Le Harem de Madame Osmane (2000) est tourné en Tunisie. « L’idée m est venue lors d’un retour à Alger en 1993. On ne savait alors pas encore comment nommer les événements :« attentats terroristes », « guerre civile » ?… Certains prévoyaient un gouvernement de technocrates qui mettrait fin à la « crise ». Espoir toujours déçu… ». Le film montre une Algérie moins convenue, plus complexe que celle que l’on imagine de l’extérieur. « La crise actuelle du pays me semble révélatrice d’au moins deux échecs : la démission des élites et la faillite de l’émancipation des femmes », déclare le réalisateur à sa sortie. Biyouna, une actrice extrêmement populaire en Algérie y incarne parfaitement l’humour cruel et réaliste du petit peuple d’Alger.

Nadir Moknèche lui offre encore un rôle dans Vivo Laldjérie, son second film. Tourné en 2002 dans son pays natal, il est, entre autres, un portrait de ville inédit au cinéma. Avec gravité et humour, le réalisateur lève le voile, brise les tabous, dresse le portrait de femmes au bord de la crise de nerfs, dans un pays meurtri qui aspire à la liberté. Mais plus qu’un témoignage sociologique, il s’agit d’une balade nocturne pour trio de femmes à la dérive. Ce titre, il l’a trouvé auprès des supporters arabes des stades, les hittistes, qui scandent « One, two, three, Viva Laldjérie !»

 

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