وسائل الإعلام الحديثة وانتشار اللغة العربية
Par M. Boudaakkar
Les nouvelles technologies au service de l’Arabe moderne
L’émergence de grands médias écrits mais surtout audio-visuels sur la scène internationale achève de remettre l’arabe littéral moderne en scelle et donne en quelque sorte raison aux tenants de cette démarche. Mais la réalité sociolinguistique reste complexe . Le taux d’analphabétisme est encore très élevé dans l’ensemble du monde arabe. L’écart entre les nantis et les classes populaires encore plus flagrant avec les effets de la mondialisation, la « fracture » sociale se double d’une fracture linguistique : les différentes institutions étatiques tournent en quelque sorte sur elles-mêmes, de façon hermétique , coupées de la langue parlée quotidiennement par des populations en grande majorité privées de la langue « savante », et surtout du support de l’ écrit (remplir un formulaire, ou un simple chèque, lire un engagement quelconque avant de signer, bref tous les problèmes administratifs que même un grand pays comme la France n’a pas réussi encore à résoudre totalement !).
Fracture linguistique et médias
Cette fracture linguistique est même palpable au niveau des médias audio-visuels (sans parler de la presse écrite qui s’adresse exclusivement aux catégories sociales aisées, lettrées en arabe). Les journaux télévisés –avec souvent des journalistes formés à l’école de la BBC britannique- utilisent certes un arabe moderne plus ou moins adapté, sans déclinaisons, simplifié, fortement influencé par le Français et l’ Anglais mais avec un débit infernal motivé par le temps imparti au journal, un ton impersonnel et froid –souvent solennel et agaçant- aux antipodes de la prosodie chaleureuse et communicative des parlers dialectaux. Mais ces mêmes médias arabes , dans leur grand ensemble continuent à ne rien comprendre aux véritables enjeux communicatifs relatifs à la langue arabe dans sa diversité désormais effective et surtout aux jeux de pouvoirs, ou alors ils en jouent de manière perverse, à la manière occidentale.
Exemple parmi tant d’autres : telle grande chaîne satellitaire , forte d’une audience internationale impressionnante, organise un débat avec possibilité pour quiconque, aux quatre coins du monde d’y participer grâce aux moyen techniques que désormais on connaît. Le débat est animé par un journaliste qui connaît parfaitement son bréviaire avec une « feuille de route » – un conducteur dans le jargon, plus précisément. Il parle dans un arabe littéral parfait, sans déclinaisons, usant d’un vocabulaire moderne parfaitement adapté au sujet du débat. Les invités présents sur le plateau ainsi que les intervenants extérieurs sont sensés pouvoir s’exprimer librement aussi bien sur le plan de leur choix linguistique (registre de langue) que sur celui de leurs opinions .
Quand l’animateur-roi devient linguiste...
Ce deuxième aspect devrait primer bien entendu sur le premier (question de contenu et de forme). Or, on assiste souvent à des « incidents » assez cocasses il faut le dire où l’intervenant, bien que tenant des propos fort pertinents par rapport au sujet débattu se voit brutalement interrompu, voir même rabroué … A priori, on pourrait penser que les propos de l’interlocuteur contrarient les intentions de l’animateur ou sont « hors sujet », d’où le passage brusque de la parole à quelqu’un d’autre. Non, la raison relève plutôt de ce que nous disions plus haut : le registre de langue utilisé par l’intervenant ne convient pas au « niveau de langue » exigé par l’émission (trop dialectal, trop marqué par l’accent local). Du coup, ces choix arbitraires, sans aucun fondement linguistique sérieux font de l’animateur un deus ex machina seul à même de trancher sur ce qui doit être dit en fonction de choix linguistiques fort hasardeux et souvent subjectifs.
L’irruption « révolutionnaire » des dialectes
Cet ordre rigide – l’utilisation obligatoire et exclusive de la fusha dans les médias et toutes les sphères sous l’égide de l’Etat – a finalement implosé avec le déferlement de ce que l’on a appelé « les printemps arabes ». Une vague de révoltes partie de Tunisie qui a chamboulé tous les systèmes mis en place depuis les indépendances, sans pourtant parvenir aux changements radicaux auxquels les masses révoltées aspiraient. Parmi les nombreux acquis arrachés de haute lutte, citons la remise à l’honneur des dialectes, longtemps méprisés, ignorés par les différents pouvoirs en place.
Cela a commencé par les manifestations de rue où les manifestants ne s’embarrassaient plus des problèmes de langue, exprimant leurs colères, leurs revendications, leurs critiques tantôt en arabe littéral, tantôt en dialecte ou même en Français, en Anglais ou en Espagnol (surtout sur les banderoles), sans doute à l’adresse des téléspectateurs du monde entier, qui avaient droits aux images, malgré les tentatives de censure ou d’empêchement de la part des autorités en place.
Dans la Tunisie pionnière, où l’ex-président Ben Ali a lâché le pouvoir dès les premiers soubresauts, les médias officiels, pour tenter de calmer le jeu, invitaient des citoyens « ordinaires » sur les plateaux. Ces derniers non seulement n’hésitaient pas à dire haut et fort ce qu’ils pensaient, mais le disait dans leur langage, avec leurs propres mots, loin de toute « langue de bois », c’est dire essentiellement en arabe dialectal avec l’utilisation de termes politiques en fusha. Sans que l’animateur ou l’animatrice de l’émission ne trouve à redire et surtout en interrompant que rarement l’interlocuteur, généralement par respect du temps de parole.
Le terme « révolutionnaire » utilisé dans le sous-titre de ce chapitre pourrait paraître excessif, ou bien désuet, mais dans le cas qui nous intéresse, il s’agit bien d’une révolution tout à fait pacifique qui touche profondément à deux domaines vitaux pour la vie en société: la communication langagière à la portée de tous et le sentiment de retrouver en quelque sorte une « identité » brimée par la décision du pouvoir de ne laisser s’exprimer que des élites maîtrisant peu ou prou la langue « savante ».
Il est important de signaler que – curieusement – les Algériens, réputés pour leur côté « révoltés en permanence »n’aient pas vraiment bougé lors de ces événements qui se sont répandus jusqu’au Moyen-Orient et même dans la péninsule arabique. Les Marocains non plus d’ailleurs…
Le phénomène socio-linguistique consistant essentiellement à utiliser le dialecte en priorité, à égalité avec la fusha ou le Français (plutôt une sorte de francarabe) s’est généralisé avec ce que l’on appelé le Hirâk, vaste mouvement de contestation en Algérie, survenu avec une première manifestation massive, impressionnante spontanée, le 22 février 2019.
Quand la « langue intermédiaire » devient un fait irréversible
Comme nous l’avons à plusieurs reprises et longuement évoqué dans d’autres articles, le problème des dialectes est qu’ils se sont considérablement appauvris, notamment durant la longue nuit de domination ottomane. L’arabe « classique » n’étaient plus utilisé que pour la récitation du Coran et les pratiques religieuses, banni sous le Régence d’Alger des usages administratifs où seul le Turc était admis; fait prolongé et renforcé plus tard par la colonisation française. L’arabe dialectal en était ainsi réduit à la communication quotidienne « fonctionnelle »: impossible de mener une conversation qui dépasserait les besoins matériels ou relationnels de base, comme par exemple aborder des sujets d’ordre politique, historiques ou culturels… Ne parlons pas des sujets scientifiques!
L’usage, jusqu’alors étaient donc, dans ces cas de recourir au Français pour employer le vocabulaire qui manque ou même des phrases entières, passant ainsi, brusquement d’une langue à l’autre.
Au fur et à mesure de la scolarisation massive connue durant la période post-indépendance, des générations entières ont été « arabisées », connaissant largement toute terminologie moderne en arabe littéral. Ces générations, à la faveur de ce mouvement appelé Hirâk a réussi à populariser pour ne pas dire banaliser, l’usage de ce que l’on appelle « l’Arabe intermédiaire », c’est à dire un mêlange de dialectal (surtout au niveau des structures grammaticales) et de termes modernes en Arabe littéral au lieu d’emprunter au Français. La formule a fait boule de neige et a été adoptée par la majorité des acteurs de ce mouvement, avec efficacité, puisque même les moins scolarisés pouvaient comprendre et s’exprimer à leur tour…
Mieux, l’effet »vague langue populaire » a vite gagné d’abord les médias indépendants ou semi-indépendants autorisés sous l’ère Bouteflika, puis la télévision algérienne d’état et ses satellites. On peu, sans minimiser le moins du monde parler d’effet de mode. Désormais, journaliste de l’audio-visuel, homme ou femme politique, syndicaliste, artiste, il est désormais de bon temps de parler dans une langue mi-fusha, mi-dârija.
Les industriels de l’agro-alimentaires et les publicitaires ne sont pas en reste: ils ont compris et surtout vérifié l’impact des appellations de produits et des slogans publicitaires lancés dans la langue du peuple!