Echanges ou « appropriations » linguistiques
________________________
Algérie: état de la langue arabe lors de la colonisation
Rappelons–le, il n’est nullement question de faire ici le procès de la colonisation, ni de nier ses apports culturels (souvent imposés par la force, d’ailleurs) mais de voir comment une culture dominante, se laisse « infiltrer », modeler en un mot influencer par la culture qu’elle prétend émanciper, « civiliser » disait-on à l’époque.
L’exemple de l’Algérie –colonie de peuplement- et donc cas pratiquement unique dans le genre est particulièrement éloquent à ce sujet.
Dans le cas de ce pays, il y a plusieurs paramètres socio-historiques à rappeler pour permettre de comprendre les phénomènes linguistiques originaux que l’histoire coloniale –tourmentée- a engendrés.
- – En dépit de la propagande coloniale de l’époque (et qui a longtemps survécu), la France n’a pas conquis un pays « vierge », sans état, sans structures, avec justes quelques peuplades vivant dans un néant culturel absolu ! Certes, l’Etat vaincu était déjà une régence sous domination Ottomane , la langue arabe y était déjà exclue de tous les domaines de l’administration du fait de la présence turque, mais elle était omniprésente , sous sa forme dialectale dans tous les aspects de la vie quotidienne.
- – Les décrets « Crémieux » ont permis aux tribus juives algériennes autochtones, installées là depuis des siècles d’accéder à la nationalité française. Or, ces tribus, portant souvent des noms arabes étaient parfaitement arabisées et comptaient dans leurs rangs nombres de gens lettrés, sinon érudits aussi bien en Hébreu qu’en Arabe.
Famille juive d’Algérie
Les colons découvrent un peuple et deux langues langues: l’arabe et le berbère!
Les vagues successives de colons –de diverses origines- que la France faisait installer en Algérie, n’atterrissaient pas en terrain linguistique vierge ; bien au contraire, les nouveaux colons devaient très vite faire face à la réalité linguistique du pays pétri de langue et de culture arabe et berbère malgré le côté « apartheid » qu’avait cette colonisation, et le désir des minorités européennes de s’isoler de ceux que l’on appelait les indigènes.
Entre la langue de Molière et l’arabe dialectal: le « parler pieds-noirs »
De tout ceci il en découle que les colons, baignant dans un environnement fortement arabisé, eux-mêmes issus d’origines diverses (Italiens, portugais, Espagnols…) ont peu à peu donné naissance à une langue originale, entre la langue de Molière et l’arabe dialectal dans sa version de l’époque, c’est à dire
probablement assez proche du classique. C’est ce que nous appelleront par commodité, et faute de mieux « le parler pieds-noirs ».
Outre les curiosités syntaxiques de ce parler que les rapatriés ont rendu célèbre en France, citons quelques termes qu’ils ont ramenés dans leurs bagages et popularisés en France :
Kaoua |
قهوة |
Toubib |
طبيب |
chouia |
شوي |
bézèf |
بالزاف |
bled |
بلد |
Certains socio-linguistes vont jusqu’à dire, que si l’histoire avait évolué autrement et si l’aventure coloniale avait connu un dénouement pacifique et plus constructif, il se serait crée une véritable langue originale à mi-chemin entre le Français et l’Arabe, un peu à la manière du français québécois, toute propension gardée !
Cependant, si ce « parler pieds –noirs » a laissé des traces indélébiles dans le Français tel qu’il est parlé aujourd’hui encore en Algérie , il a peu influencé syntaxiquement le Français de France, malgré la forte folklorisation d’une certaine culture que les pieds-noirs d’Algérie ont réussi à imposer dans l’hexagone.
Exode des Pieds-Noirs
Implantation du Français durant la période coloniale
Longtemps, la propagande coloniale se justifiait par l’apport de la « Civilisation » à des peuples sans cultures, à l’état barbare. Qui dit civilisation, dit langue. Est-ce à dire que le Français allait être généralisé, supplantant l’Arabe et le Berbère? Ou que les « autochtones »allaient devenir bilingues, adoptant la nouvelle langue des dominateurs tout en gardant les leurs ?
La réalité est assez complexe. Il est indéniable que la colonisation a apporté les technologies en cours à l’époque en Europe et donc en France, mais c’était exclusivement au profit des colons et pour exploiter toujours mieux et plus les ressources du pays au profit de la métropole aussi. Les populations autochtones ou « indigènes » comme on les appelait à l’époque n’était invitées au festin que pour trimer, main d’oeuvre peu chère, taillable et corvéable à merci.
Il faut donc reconnaître à la colonisation un certain développement économique, surtout dans les régions les plus riches en minéraux et sur les terres les plus fertiles, avec le passage à une agriculture mécanisée sur les immenses surfaces (domaines) spoliés par la force.Cela se passait donc surtout dans les régions nord du pays au détriment du Sahara, jusqu’à ce que plus tard, on y découvre du pétrole…
Mais il n’en est pas de même pour la langue et la culture française. Celles-ci étaient réservées aux colons et les population autochtones en étaient exclues. A part quelques rares minorités, (couches aisées et privilégiée déjà durant la période Ottomane). Les écoles,collèges, lycées et universités n’accueillaient pratiquement que des « blancs »; avec dans les classes quelques rarissimes élèves arabes ou berbères issus des catégories évoquées plus haut.
Ces catégories bénéficiaient à titre exceptionnel d’autres « privilèges », comme celui d’entrer dans l’administration (pour des postes subalternes), à condition bien sûr de maîtriser le Français. En contre partie, elle reconnaissaient le « fait colonial » et y faisaient en quelque sorte allégeance. Dans la foulée, certains n’hésitaient pas à adopter ostensiblement le mode de vie français, notamment sur le plan vestimentaire.
Le français se propage… après l’indépendance !
A l’indépendance, une écrasante majorité d’algériens étaient analphabètes. En Français et en Arabe! Explication: nous avons vu comment les algériens (à part une infime minorité) étaient mis hors du système scolaire.
Ajoutons que d’eux-mêmes, en grande majorité refusaient d’envoyer leurs enfants dans les écoles des colonisateurs impies. En revanche, beaucoup n’hésitaient pas à envoyer leurs enfants dans les écoles coraniques tenues par une des rares organisations algériennes autorisées: l’Association des Oulémas Algériens.
Il y apprenaient le Coran et donc par conséquent la graphie arabe (et non pas l’écriture, démarche plus complexe) afin de déchiffrer le texte coranique, que par ailleurs ils devaient apprendre par coeur et le réciter régulièrement chaque jour. Par conséquent, à l’indépendance seule une minorité maîtrisait* l’alphabet arabe, ne comprenant pratiquement pas l’arabe dit classique. Une majorité des enfants ayant suivi l’école coranique, récitaient bien les sourates apprises, mais ne comprenaient pas vraiment le sens des versets qu’ils répétaient.
Paradoxalement, c’est après l’indépendance que le Français allait se généraliser à travers tout le territoire. Le jeune Etat algérien indépendant héritait d’un système scolaire déserté par tous les cadres, enseignants et autres personnels ayant quitté le pays. Il fallait des enseignants, des programmes scolaires, des livres un encadrement en haut lieu (Ministère de l’Education Nationale)… On allait les chercher où? Chez l’ancienne puissance coloniale, bien sûr! Ainsi fut établi le système de la « coopération » entre la France et l’Algérie nouvelle: la France envoie des enseignants, l’Algérie les rémunérerait au double: un salaire en Algérie avec la nouvelle monnaie locale et l’équivalent en France, en francs français , bien sûr!
Les programmes allaient être progressivement « algérianisés », mais l’enseignement allait continuer dans la langue de l’ex-colonisateur. Il fallait bien sûr introduire l’Arabe. Les nouveaux responsables du pays sont allé chercher les enseignants au Moyen-Orient, essentiellement en Egypte. Le système a finalement fonctionné avec d’abord la langue française pour la majorité des matières (surtout les matières scientifiques) et avec l’arabisation progresssive on enseignait surtout les matière dites littéraires.
Ainsi, au fil du temps, l’Arabe, classé « langue nationales »allait devenir majoritaire, y compris dans les disciplines scientifiques et le Français continuait à être enseigne comme langue étrangère. Puis on introduisit une troisième langue:l’Anglais.
Aujourd’hui, le berbère, longtemps écarté par le régime algérien est reconnu aussi comme langue nationale et enseigné dans certaines régions, à la demande.
_______________________________________