Réhabiliter la langue liturgique du Coran

Oct 30, 2020 | Histoire, Islam, Langues et société

Langue arabe : retour sur scène

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Par Mahfoud Boudaakkar

Après la longue nuit due à la domination ottomane, puis à la colonisation et avec les indépendances recouvrées, le problème de la langue arabe, évacuée depuis des siècles de toute administration, activité culturelle, économique, politique  ou diplomatique devait se (re)poser immanquablement quels que soient les différents pouvoir locaux installés ici ou là.

Ce que l’on a appelé « la renaissance arabe » -la nahda– au début du 20ème siècle se devait bien sûr de remettre la langue arabe à l’honneur, après tant de siècles de déclin : la langue du Coran mise donc  à l’écart par les Ottomans d’abord, puis les colonisateurs occidentaux par la suite. Un écart incommensurable entre la langue liturgique du Coran, flamboyante, lyrique à souhait, grande langue de poésie, de sciences exactes mais aussi de savoirs divers (théologie bien sûr, mais aussi astrologie, psychologie avant la lettre, philosophie, cosmogonie…) allait se creuser, donnant lieu à l’essor des dialectes dans leurs versions les plus populaires, coupées du monde « civilisé » en expansion (capitalisme naissant et ascensionnel) loin, aux antipodes des « lumières » apportées par l’Islam notamment à son époque ascendante. La langue du Coran, désormais enseignée essentiellement dans des écoles coraniques « médiévales », sans moyens et avec pour seule pédagogie la coercition y compris physique (châtiments corporels) s’isolait de ce seul fait du vécu réel des enfants qui spontanément l’assimilent pour ce qu’elle est devenue : une langue liturgique, certes sacrée, mais loin de leurs préoccupations quotidiennes et surtout de leurs besoins réels. Bref, dans l’inconscient d’un enfant arabe qu’on met d’ office dans une école coranique, cette langue devient rapidement synonyme de quelque chose de contraignant et antipathique ! Ce phénomène est encore observable, hélas de nos jours et notamment dans des pays d’Asie mineure et en Afrique Subsaharienne où des écoles coraniques rudimentaires se développent ça et là, subsistant dans de grandes conditions de précarité, et offrant un « enseignement » coranique à la manière du moyen-âge. Les élèves-disciples ânonnent de manière automatisée versets et sourates du Saint Coran, sans comprendre le moindre mot, dans ce balancement continu et typiquement autiste des corps….

La langue arabe sous domination ottomane

Des siècles de domination Ottomane, on retiendra surtout une terrible régression sur tous les plans de la culture arabo-musulmane, avec surtout l’ éviction de la langue arabe de l’administration et de tous les centres de décision au profit du Turc. De ce fait, la langue arabe, confinée à la seule communication orale ne pouvait plus se développer que dans des formes dialectales, très appauvries, totalement coupées du formidable élan culturel et économique qui avait lieu parallèlement en Occident. Seules les écoles coraniques continuaient à diffuser une certaine culture religieuse minimale, primaire, avec l’avantage principal d’entretenir la culture de l’écrit, et de contribuer ainsi à sauver le support de l’écriture et lui éviter le naufrage total ! On comprend ainsi facilement, pourquoi le mouvement de la nahda Arabe (Renaissance) puis l’accès aux indépendances a débouché naturellement sur une envie forte et légitime de redonner à la langue arabe fusha sa véritable place en la réhabilitant à tout les échelons : langue officielle de l’Etat, d’ enseignement, d’administration, de travail dans tous les secteurs où cela était possible. Nous avons tous encore en mémoire le cri pathétique du premier président de l’Algérie , juste après son indépendance : » nous sommes arabes ! arabes ! »

Indépendances, luttes de pouvoir et ré-appropriation de la langue arabe

La légitime réaction de ré-appropriation totale de la langue arabe dans sa version fusha portée par la nahda, dans un monde arabe « balkanisé » par le colonialisme, divisé en un grand nombre de jeunes nations plus ou moins favorisées sur le plan des richesses naturelles n’allait pas connaître les mêmes succès partout. Ni subi, vécu, de la même façon selon les pays nouvellement indépendants et selon que l’on se situe au Moyen-Orient ou au Maghreb. Qui dit jeune nation, dit Etat, donc classes sociales, donc avec « embourgeoisement » rapide de certaines d’entre elles destinées à s’emparer du pouvoir et à l’exercer dans la durée. Les nouvelles classes dominantes, souvent des petites bourgeoisies de type administratif, arrivistes sans grandes traditions culturelles véritables se devaient de monopoliser aussi le langage officiel choisi comme langue d’Etat exclusive ; l’arabe fusha ou littéral ou classique selon les appellations.

Résultat : un fonctionnement quasi surréaliste dans les pays arabes où les structures essentielles de l’Etat (Défense, Justice, Education, Mairies…) se sont mises à fonctionner dans une langue très éloignée de celle que pratique le peuple, où les prétendus représentants du peuple (président, ministres, Enseignants, députés, maires, juges, avocats, imams et mêmes militants syndicalistes) devaient s’exprimer dans une langue qu’eux-mêmes maîtrisaient mal mais surtout presque totalement incomprise par leurs administrés ! De grands efforts ont été effectivement fournis dans l’éducation et la formation de générations nouvelles et cela dans l’ensemble du monde arabe. La ré-arabisation de la société est un fait inéluctable, les nouvelles technologies et la mondialisation contribuent actuellement à faire le reste.

 

 
 
 

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