L’Arabe littéral ou fusha
اللغة العربية الفصحى
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Par Mahfoud Boudaakkar
Dans tous les pays arabes, l’Arabe littéral ou fusha a le statut de langue nationale officielle.Ce la veut dire que tous les rouages de l’Etat doivent fonctionner dans cette langue.Nous allons voir plus loin que les choses sont plus complexes.
Si la langue française , imposante (dans sa phase impériale) et imposée avec force moyens connaît de tels « fractures » dans l’usage quotidiens, qu’en est-il de la langue arabe avec son phénomène de pluriglossie assez marqué par rapport aux autres grandes langues ? (Voir notre article enseigner la langue arabe) . Une autre particularité de la langue arabe, réside dans son essence liturgique, hiératique, qui dépasse de loin l’espace du monde arabe et déborde largement sur l’immense monde musulman avec notamment l’Asie Mineure et l’Indonésie, sans compter la Chine qui se réveille avec ses centaines de millions de Chinois musulmans… Langue de foi et de soumission à Dieu (c’est le sens originel du mot islam), la langue du Coran est aussi celle d’un imaginaire collectif spécifique au vaste monde arabo-musulman.
Clivage Arabe « classique » et Arabe « littéral »
Dès le début des conquêtes, la langue arabe, portée essentiellement par le texte coranique a eu à se battre sur au moins deux fronts pour pouvoir s’imposer comme langue « officielle » du nouvel ordre qui allait s’installer d’une part, d’autre part, contre les grandes langues déjà installées dans les nouveaux territoires conquis (essentiellement le Latin et le Persan) beaucoup plus en avance sur tous les plans , du faits de supports écrits stables : sciences, techniques de production, culture, administration , commerce, … D’autre part, elle devait se substituer aux différents parlers locaux qui ne répondaient pas aux canons linguistiques du Latin et du Persan en vigueur à l’époque.
Cette réalité socio-linguistique originale devait déboucher inévitablement : sur le triomphe progressif de l’arabe « classique » sur les deux langues rivales, notamment lorsque la nouvelle puissance (califale), a réussit à imposer une vulgate coranique unique , en perfectionnant au passage ce socle fondamental nécessaire à toute nouvelle civilisation qu’est le support écrit (surtout concernant le message divin). Peu à peu, le nouvel empire, qui avait fonctionné –nécessité oblige- en s’appuyant sur les langues dominantes, a réussi à imposer la langue arabe au moins comme langue d’administration officielle et donc de communication, ou du moins au niveau des nouvelles élites dirigeantes intéressées et directement impliquées dans l’exercice du pouvoir. Plus difficile en revanche d’arabiser les classes populaires des différentes contrées où l’Islam paradoxalement s’imposait avec une rapidité étonnante que les plus éminents historiens, même de nos jours peinent à expliquer.
Nous avons reçu un important courrier depuis la mise en ligne de notre site web concernant cette question des choix didactiques à l’origine de nos ouvrages pédagogiques pour l’enseignement de l’arabe en tant que « langue étrangère ». Ce courrier émane aussi bien des pays d’Europe que du Canada, des États-Unis, mais aussi de provenances inattendues : Mexique, Brésil, Vénézuéla… La question qui revient sans cesse est : en quoi l’Europe (avec la France en tête) se prévaut-elle d’avancées pédagogiques décisives par rapport à ce qui se fait dans d’autres pays et notamment les pays arabes eux-mêmes ? Il est vrai que le marché, dans le monde entier abonde de méthodes d’arabe en tous genres, notamment celles en provenance des pays arabes qu’elles soient officielles et à caractère scolaire ou de l’ordre de l’initiative privée et donc parascolaire. Le constat est toujours le même hélas : dès qu’il s’agit de la langue arabe, les pays occidentaux notamment, délivrent spontanément (et trop facilement) un brevet de compétence aux « natifs » et donc naturellement le choix d’utiliser des matériaux en provenance notamment des pays arabes…. Des institutions prestigieuses , notamment canadiennes et américaines (aux Pays-Bas aussi et même en France et dans tout le reste de l’Europe…) continuent d’utiliser des méthodes inadaptées aux besoins de publics non dialectophones.
Les recherches didactiques en France et en Europe (mais aussi de plus en plus dans les pays arabes) permettent de concevoir un enseignement spécifique pour les langues étrangères ce qui exige des démarches et des méthodes très différentes de celles qui consistent à enseigner une langue en tant que « langue nationale » à des natifs.
Langue et discours officiels
Les interférences entre les différents registres de la langue arabe, le clivage persistant entre le (les) dialecte(s) va perturber jusqu’au mode de communication du pouvoir lui même et brouiller en permanence son message à l’ adresse du « peuple » (considéré comme une masse homogène, sans distinction de classe). Et donc réduire considérablement l’efficacité des orientations que le pouvoir entend donner au pays lesquelles orientations ne peuvent être effectives si le « peuple » n’y adhère pas .
Or ce même peuple n’entend pas les orientations d’abord parce qu’il ne les comprend même pas ! Face au discours officiel, nous nous trouvons –en pays arabe- en permanence et quel que soit l’enjeu à peu près dans la situation de la France où le langage technocratique de certaines administrations ou institutions « passe au dessus de la tête » des catégories sociales auxquelles il est sensé s’adresser.
Qu’en est-il en Arabe ?
Les différents Etats arabes ont repris, dans leur façon d’exercer le pouvoir, à la fois les vieilles traditions califales et les habitudes héritées du colonialisme, tout en mimant les évolutions contemporaines des régimes occidentaux. Du point de vue du langage, ils se drapent tous, dignement, solennellement et sans exception dans une langue transcendantale, sacrée, celle du Coran dans sa forme la plus classique. Plus c’est haut, plus c’est incompréhensible par le commun des mortels, plus cela prouve la toute-puissance de l’Etat (hîbat ad-dawla), mot-à mot : la crainte de l’Etat.
A notre sens seuls deux chefs d’état arabes – charismatiques par ailleurs – ont vraiment laissé leur empreinte au niveau discursif face aux masses arabes en alliant pragmatiquement le discours solennel sensé représenter les exigences et les orientations voulues par l’Etat dans un arabe littéral parfait, strict et les « appels du pied » au peuple en réduisant sensiblement la tonalité du discours jusqu’à recourir –prudemment- au dialecte, pour faire vibrer la fibre patriotique par exemple.
Il s’agit de Nasser en Egypte héraut du panarabisme et de Boumediène en Algérie qui lui a emboîté le pas. Pour le reste, les dirigeants arabes se contentent le plus souvent de lire leurs discours écrits par des conseillers, d’une voix monocorde, avec des hésitations selon leur propre niveau de culture, comme si le message transmis allait de soi. On dit souvent que les dirigeants français sont coupés de la réalité ; les dirigeants arabes eux semblent le plus souvent vivre carrément sur une autre planète !
Une langue de communication à sens unique
L’Arabe littéral dans sa version la plus classique s’est donc imposé comme langue de pouvoir à sens unique, « vertical », de dominants à dominés : ce n’est plus de la communication mais du monologue ! Le président ou le roi monologue derrière son micro , le professeur, du haut de sa chair déclame son cours magistral, le présentateur du journal télévisé déverse ses « informations » avec un ton solennel, un débit et une prosodie enseignée par les écoles de journalisme de la BBC , l’imam assène ses vérités lors des prêches du vendredi devant un parterre de fidèles souvent analphabètes dans une langue que seule une minorité de lettrés peut décoder.
Le rôle des médias modernes
Le fait est que, avec le développement des médias modernes via surtout internet et les réseaux, l’arabe littéral moderne devient réellement une langue de communication et d’échanges vivants, instantanés. Le temps de la communication « verticale », à sens unique est révolu et l’on s’achemine peu à peu et de façon irréversible vers l’emploi généralisé d’une langue intermédiaire se situant entre l’arabe littéral et l’arabe dialectal.
D’où la nécessité – pour des raisons d’efficacité – de maîtriser les deux registres en optant, en plus de l’arabe littéral commun pour un dialecte de son choix .
Pour en savoir plus, lire nos autres articles:
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